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LA CONCORDANCE DES TEMPS
Moto littéraire :
Quand Mme Verdurin avait annoncé qu’on aurait, dans la soirée, M. Swann : (…) Swann ? Qui ça, Swann ? hurla-t-il au comble d’une anxiété qui se détendit soudain quand Mme Verdurin eut dit : mais l’ami dont Odette nous avait parlé. Ah ! bon, bon, ça va bien, répondit le docteur apaisé.
Marcel Proust, Du côté de chez Swann
La grammaire française aborde la concordance des temps à l’indicatif, au subjonctif et au conditionnel. Nous nous rapportons à la première situation car elle est la plus fréquente dans la langue.
Si le verbe de la proposition régente est à l’indicatif présent ou futur, le temps du verbe de la proposition subordonnée est indiqué par le sens (généralement on traduit le temps du roumain).
Verbe de la régente |
Rapport temporel |
Verbe de la subordonnée |
Exemple |
I. Mode indicatif Un temps passé |
I. simultanéité |
I.Mode indicatif imparfait |
Tu m’as dit qu’il était d’accord pour partir. |
II. Mode indicatif Un temps passé |
II. antériorité |
II.Mode indicatif Plus-que-parfait |
Tu m’as dit qu’il avait été d’accord pour partir. |
III. Mode indicatif Un temps passé |
III. postériorité |
III Mode conditionnel Présent |
Tu m’as dit qu’il serait d’accord pour partir. |
Exercice 1. Mettez les verbes entre parenthèses aux modes et temps requis pour exprimer le rapport temporel indiqué :
Virginie m’a dit qu’elle (arriver - postériorité) … une semaine après le retour de son frère.
Maman a dit que papa (interdire - antériorité) … de regarder le polar du soir à la télé.
Je sais qu’ils (venir - simultanéité) chaque jour vous voir.
Je savais qu’ils (venir - simultanéité) chaque jour vous voir.
Nous avions affirmé que l’inculpé (être vu - antériorité) … rôder autour de cette maison.
Il était sûr que sa femme (finir - postériorité) … par le comprendre.
Mes parents sont convaincus qu’un jour je (se débrouiller - postériorité) … tout seul.
On avait établi que Jean (rester - simultanéité) … à la maison et que seul Paul (aller sortir - postériorité) … en ville avec Simone.
Mon grand-père espérait que sa fille (devenir – postérité) une cantatrice célèbre.
Exercice 2. Rayez la variante incorrecte :
Tu as promis que nous irons / irions nous promener si tu achevais ton travail.
Pierre jurait qu’il n’a pas volé / n’avait pas volé les tulipes du jardin de leur voisine.
Nous espérions que nos amies ont réussi /avaient réussi à trouver une place près de la scène.
Il était évident que ses manières n’ont / n’avaient jamais été à la hauteur de ses prétentions.
A ce moment-là je savais que tu ne pouvais / peux pas me mentir et que tu ne le ferais / feras jamais de ta vie.
Nous étions sûrs que tu rentreras / rentrerais avant minuit.
Marcel répondit qu’il n’y était / n’y est pour rien et qu’il n’accepte / n’acceptait pas le rôle du bouc émissaire.
Exercice 3. Traduisez en français (attention à la valeur du présent de l’indicatif qui exprime une réalité objective, une vérité scientifique ou morale généralement valable) :
1.Vad ca dormiti. 2. El credea ca tu glumisesi. 3. Nu stiai ca tatal meu este fizician ? 4. Zicea ca va lucra mai bine pe viitor. 5. Credeam ca isi terminase deja pranzul. 6. George voia sa stie daca data stabilita pentru plecare convoiului cu ajutoare umanitare a ramas aceea care fusee prevazuta cu cinci luni in urma. 7. Am inteles ca va plictiseati la cursul de pedagogie. 8. Noi stiam ca Iacob este un om de caracter. 9. Am aflat ca prietena ta facuse ancheta sociala pe care ar fi trebuit sa o fac eu. 10. Era obligata sa recunoasca ca ei aveau dreptate in aceasta problema controversata. 11. Dupa ce ultimele lampioane s-au stins, orasul devine linistit.
Exercice 4. Repérez dans le fragment du roman de Camus les phrases qui puissent illustrer chacune des règles de la concordance des temps (v. le schéma) ; mettez ce fragment sous forme de dialogue :
Le soir, Marie est venue me chercher et m’a demandé si je voulais me marier avec elle. J’ai dit que cela m’était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l’aimais. J’ai répondu comme je l’avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l’aimais pas. ' Pourquoi m’épouser alors ? ' a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n’avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D’ailleurs, c’était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J’ai répondu : ' Non. ' Elle s‘est tue un moment et elle m’a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j’aurais accepté la même proposition venant d’une autre femme à qui je serais attaché de la même façon. J’ai dit : ' Naturellement ' . Elle s’est demandé alors si elle m’aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j’étais bizarre, qu’elle m’aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n’ayant rien à ajouter, elle m’a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu’elle voulait se marier avec moi. J’ai répondu que nous le ferions dès qu’elle le voudrait.
Albert Camus, L’Etranger
UNITE 1 B.TEXTES DE SPECIALITE
Perception : (etym : latin perceptio, action de recueillir, récolte, de percipere, se saisir de, recueillir, littéralement, prendre à travers) 1) Sens ordinaire : Action de percevoir c’est-à-dire de réunir des sensations et de produire des images mentales correspondantes 2) Philosophie : la perception est le mode le plus immédiat de représentation du monde.
On soutient
communément que c'est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et
simple, sans aucune interprétation. Mais il n'en est rien. Je ne touche pas ce
dé cubique, Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans
durs et lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge
que cet objet est cubique. Exercez-vous sur d'autres exemples, car cette
analyse conduit fort loin, et il importe de bien assurer ses premiers pas. Au
surplus, il est assez clair que je ne puis pas constater comme un fait donné à
mes sens que ce dé cubique et dur est en même temps blanc de partout, et jamais
les faces visibles ne sont colorées de même en même temps. Mais pourtant c'est
un cube que je vois, à faces égales, et toutes également blanches, Et je vois
cette même chose que je touche, Platon, dans son Théétète, demandait par quel
sens je connais l'union des perceptions des différents sens en un objet.
Revenons à ce dé. Je reconnais six taches noires sur une des faces, On ne fera
pas difficulté d'admettre que c'est là une opération d'entendement, dont les
sens fournissent seulement la matière. Il est clair que, parcourant ces taches
noires, et retenant l'ordre et la place de chacune, je forme enfin, et non sans
peine au commencement, l'idée qu'elles sont six, c'est-à-dire deux fois trois,
qui font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de
compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences
successives, pour la main et pour l'oeil, me font connaitre un cube ? Par où il
apparaitrait que la perception est déjà une fonction d'entendement.
Alain, Les Passions et la Sagesse, Pléiade, p. 1076
Figure, éloignement, contours, modelé, bref, tous les rapports spatiaux et toutes les différences de la manifestation phénoménale dans l'espace ne sont mis en valeur, en peinture, que par la couleur, dont le principe plutôt idéel est du même coup capable aussi de représenter un contenu lui-même plutôt idéel, et offre un très large éventail de possibilités pour la multitude et la particularité des objets à fixer, grace à ses contrastes marqués, à ses gradations et transitions infiniment variées, et à ses subtilités dans l'introduction des plus fines nuances. Ce que la seule coloration parvient ici à accomplir est à peine croyable. Deux personnes, par exemple, sont quelque chose de complètement différent ; chacune d'entre elles, dans sa conscience de soi tout comme dans son organisme corporel, est pour soi une totalité spirituelle et corporelle close et achevée, et pourtant, toute cette différence est réduite dans un tableau à la différence des couleurs. Tel coloris s'arrête ici, et tel autre y commence, voilà par quoi tout est produit, la forme, la distance, la mimique, l'expression, ce qu'il y a de plus sensible comme de plus spirituel. [Et, répétons-le,] il ne faut pas considérer cette réduction comme un pis-aller ou un défaut, bien au contraire : la peinture n'est
pas « privée » de la troisième dimension, mais la rejette délibérément, pour substituer au réel simplement spatial le principe plus élevé et plus riche de la couleur.
Hegel, Cours d'Esthétique III, Traduction J.-P. LEFEBVRE & V. VON SCHENCK, Paris, Aubier, 1997 (Bibliothèque philosophique) pp. 29-30
Le Je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations ; car, sinon, quelque chose serait représenté en moi qui ne pourrait pas du tout être pensé, ce qui revient à dire que la représentation serait impossible, ou, du moins, qu'elle ne serait rien pour moi. Une telle représentation, qui peut être donnée avant toute pensée (Denken), s'appelle intuition. Donc tout divers de l'intuition a un rapport nécessaire au Je pense dans ce même sujet où ce divers se rencontre. Mais cette représentation est un acte de la spontanéité, c'est-à-dire qu'elle ne peut être considérée comme appartenant à la sensibilité. Je l'appelle l'aperception pure, pour la distinguer de l'aperception empirique, ou encore l'aperception originaire, parce qu'elle est cette conscience de soi qui, tout en produisant la représentation Je pense, doit pouvoir accompagner toutes les autres représentations, et qui, une et identique en toute conscience, ne peut être accompagnée au-delà (weiterbegleitet) d'aucune.
Kant, Critique de la Raison pure, 2e ed, (1787)
C'est la montagne
elle-même qui, de là-bas, se fait voir du peintre, c'est elle qu'il interroge
du regard.
Que lui demande-t-il au juste ? De dévoiler les moyens, rien que visibles, par
lesquels elle se fait montagne sous nos yeux. Lumière, éclairage, ombres,
reflets, couleur, tous ces objets de la recherche ne sont pas tout à fait des
êtres réels : ils n'ont, comme les fantômes, d'existence que visuelle. Ils ne
sont même que le seuil de la vision profane, ils ne sont communément pas vus.
Le regard du peintre leur demande comment ils s'y prennent pour faire qu'il y
ait soudain quelque chose, et cette chose, pour composer ce talisman du monde,
pour nous faire voir le visible.
Merleau-Ponty, L'Oeil et l'Esprit, Paris, Gallimard, 1964, Folio Essais, pp. 28-29
La pensée objective ignore le sujet de la perception. C'est qu'elle se donne le monde tout fait, comme milieu de tout événement possible, et traite la perception comme l'un de ces événements.
L'erreur de l'empirisme
Par exemple, le philosophe empiriste considère un sujet X en train de percevoir et cherche à décrire ce qui se passe : il y a des sensations qui sont des états ou des manières d'être du sujet et, à ce titre, de véritables choses mentales. Le sujet percevant est le lieu de ces choses et le philosophe décrit les sensations et leur substrat comme on décrit la faune d'un pays lointain - sans s'apercevoir qu'il perçoit lui-même, qu'il est sujet percevant et que la perception telle qu'il la voit dément tout ce qu'il dit de la perception en général.
Car, vue de l'intérieur, la perception ne doit rien à ce que nous savons par ailleurs sur le monde, sur les stimuli tels que les décrit la physique et sur les organes des sens tels que les décrit la biologie. Elle ne se donne pas d'abord comme un événement dans le monde auquel on puisse appliquer, par exemple, la catégorie de causalité, mais comme une recréation ou re-constitution
du monde à chaque moment. Si nous croyons à un passé du monde, au monde physique, aux « stimuli », à l'organisme tel que nous le représentent nos livres, c'est d'abord parce que nous avons un champ perceptif présent et actuel, une surface de contact avec le monde ou en enracinement perpétuel en lui, c'est parce qu'il vient sans cesse assaillir et investir la subjectivité comme des vagues entourent une épave sur la plage. ()
L'insuffisance de l'intellectualisme
L'intellectualisme représente bien un progrès dans la prise de conscience : ce lieu hors du monde que le philosophe empiriste sous-entendait et où il se plaçait tacitement pour décrire l'événement de la perception, il reçoit maintenant un nom, il figure dans la description. C'est l'Ego transcendantal. Par là, toutes les thèses de l'empirisme se trouvent renversées, l'état de la conscience devient la conscience d'un état, la passivité position d'une passivité, le monde devient le corrélatif d'une pensée du monde et n'existe plus que par un constituant.
Et pourtant il reste vrai de dire que l'intellectualisme, lui aussi, se donne le monde tout fait. Car la constitution du monde telle qu'il la conçoit est une simple clause de style : à chaque terme de la description empiriste, on ajoute l'indice « conscience de ». On subordonne tout le système de l'expérience - monde, corps propre, et moi empirique - à un penseur universel chargé de porter les relations des trois termes. Mais, comme il n'y est pas engagé, elles restent ce qu'elles étaient dans l'empirisme: des relations de causalité étalées sur le plan des événements cosmiques.
Or, si le corps propre et le moi empirique ne sont que des éléments dans le système de l'expérience, objets parmi d'autres objets, () comment se fait-il que nous percevions ? Nous ne le comprenons que si le moi empirique et le corps ne sont pas d'emblée des objets, ne le deviennent jamais tout à fait, s'il y a un certain sens à dire que je vois le morceau de cire de mes yeux, et si corrélativement cette possibilité d'absence, cette dimension de fuite et de liberté que la réflexion ouvre au fond de nous et qu'on appelle le Je transcendantal ne sont pas données d'abord et ne sont jamais absolument acquises, si je ne peux jamais dire « Je » absolument et si tout acte de réflexion, toute prise de position volontaire s'établit sur le fond d'une vie de conscience prépersonnelle.
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (1945), pp.240-241
On a souvent procédé comme si l'image était d'abord constituée sur le type de la perception et comme si quelque chose (réducteurs, savoir, etc.) intervenait ensuite pour la replacer à son rang d'image. L'objet en image serait donc constitué d'abord dans le monde des choses, pour être, après coup, chassé de ce monde. Mais cette thèse ne cadre pas avec les données de la description phénoménologique ; en outre, nous avons pu voir dans un autre ouvrage que, si perception et image ne sont pas distinctes par nature, si leurs objets ne se donnent pas à la conscience comme sui generis, il ne nous restera aucun moyen pour distinguer ces deux façons de se donner les objets ; en un mot, nous avons constaté l'insuffisance des critères externes de l'image. Il faut donc - puisque nous pouvons parler d'images, puisque ce terme même a un sens pour nous, - il faut que l'image, prise en elle-même, renferme dans sa nature intime un élément de distinction radicale. Cet élément, une investigation réflexive nous le fait trouver dans l'acte positionnel de la conscience imageante.
Toute conscience pose son objet mais chacune à sa manière. La perception, par exemple, pose son objet comme existant. L'image enferme, elle aussi, un acte de croyance ou acte positionnel. Cet acte peut prendre quatre formes et quatre seulement : il peut poser l'objet comme inexistant, ou comme absent, ou comme existant ailleurs ; il peut aussi se « neutraliser », c'est-à-dire ne pas poser son objet comme existant. Deux de ces actes sont des négations : le quatrième correspond à une suspension ou neutralisation de la thèse. Le troisième, qui est positif, suppose une négation
implicite de l'existence naturelle et présente de l'objet. Ces actes positionnels - cette remarque est capitale - ne se surajoutent pas à l'image une fois qu'elle est constituée : l'acte positionnel est constitutif de la conscience d'image.
Sartre, L'Imaginaire, Paris, Ed. Gallimard, 1940, p 23
Les sens ne trompent pas. Cette proposition est le refus du reproche le plus lourd, mais aussi, bien pesé, le plus vide qui soit fait aux sens ; et cela, non point parce qu'ils jugent toujours avec justesse, mais parce qu'ils ne jugent pas du tout ; raison pour laquelle l'erreur est toujours à la charge du seul entendement. Pourtant l'apparence sensible (species, apparentia) tourne, sinon à sa justification, du moins à son excuse ; de la sorte, l'homme en vient souvent à tenir le subjectif de son mode de représentation pour objectif (la tour éloignée à laquelle il ne voit pas d'angles, pour ronde, la mer dont la partie lointaine atteint son regard par la voie de rayons lumineux plus élevés pour plus haute que le rivage (altum mare), la pleine lune qu'il voit lors de son lever à l'horizon à travers une atmosphère vaporeuse, bien qu'il la perçoive sous le même angle visuel, pour plus éloignée et donc aussi pour plus grande que lorsqu'elle apparait haut dans le ciel), et ainsi à prendre le phénomène pour l'expérience et à tomber par là dans l'erreur, qui est faute de l'entendement et non des sens.
Kant, Anthropologie d'un point de vue pragmatique, in: Ouvre complètes III, Traduction Pierre Jalabert, Paris, Gallimard, 1986 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 964
Toute impression simple s'accompagne d'une idée correspondante et toute idée simple d'une impression correspondante. De cette conjonction constante des perceptions semblables, je conclus immédiatement qu'il y a une grande connexion entre nos impressions et nos idées correspondantes et que l'existence des unes exerce une influence considérable sur l'existence des autres. Une telle conjonction constante, dans un nombre aussi illimité de cas, ne peut jamais naitre du hasard ; mais elle montre clairement qu'il y a une dépendance des impressions par rapport aux idées ou des idées par rapport aux impressions. Pour savoir de quel côté se trouve cette dépendance, j'envisage l'ordre de première apparition ; et je trouve, par expérience constante, que les impressions simples précèdent toujours les idées correspondantes et que l'ordre inverse ne se produit jamais. Pour donner à un enfant l'idée de l'écarlate ou de l'orange, du doux ou de l'amer, je lui présente les objets, ou, en d'autres termes, je lui communique ces impressions ; mais je ne procède pas assez absurdement pour tenter de produire les impressions en éveillant les idées.
Nos idées, à leur apparition, ne produisent pas les impressions correspondantes et nous ne percevons aucune couleur, ni ne ressentons aucune sensation à seulement y penser. D'autre part nous trouverons qu'une impression, qu'elle soit de l'esprit ou du corps, est constamment suivie d'une idée qui lui ressemble et qui en diffère seulement par le degré de force et de vivacité. La constante conjonction de nos perceptions semblables est une preuve convaincante que les unes sont causes des autres ; et la priorité des impressions est une preuve tout aussi grande que nos impressions sont les causes de nos idées et non nos idées les causes de nos impressions.
Hume, Traité de la nature humaine, Livre I, section 1.
PROFIL DE PHILOSOPHE
Émile CHARTIER dit ALAIN
De son vrai nom Émile Chartier, Alain eut une influence considérable sur toute sa génération, à la fois comme professeur de khagne au lycée Henri IV à Paris et comme chroniqueur dans des journaux et revues d'où il tirera ses fameux Propos.
Fils d'un vétérinaire, il rentre à l'École normale supérieure, devient agrégé de philosophie en 1892. Il représente sans doute le parangon du professeur de philosophie classique de l'ancienne génération, et beaucoup parlèrent de lui comme d'un véritable maitre. En 1914, il s'engage, malgré son pacifisme, comme artilleur. De cette expérience, il tirera son ouvrage Mars ou la guerre jugée.
En politique, ses options furent celles des radicaux. Tous les Propos ont été rassemblés dans des ouvrages tels que : Système des Beaux-Arts (1920), Les Idées et les Ages (1927), Propos sur le bonheur (1928), Idées (1932), ou Éléments de philosophie (1940). Il est élève de Jules Lagneau, professeur de philosophie spiritualiste, qui lui donnera le goût du rationalisme. Il s'inscrit également dans la tradition de Platon, pour l'ordre de la vie morale, de Descartes, pour la transparence de sa pensée, et de Kant, pour la morale conçue comme un respect dû à la personne et au sujet. À cette liste de noms, il ne faut pas omettre d'ajouter ceux de Hegel et de Comte.
Alain pratique également le journalisme, médite sur l'Histoire, la politique, la guerre, la vie quotidienne. Son champ de réflexion couvre presque tout. Cependant, sa philosophie ne se caractérise pas par la construction d'un système, mais par une démarche d'initiation à la réflexion philosophique. L'ame, principe spirituel, maitrise le corps et les passions. La conscience, savoir revenant sur lui-même, assure la transparence totale du cogito. La morale, ensemble de principes et de maximes, aboutit à la reconnaissance de la dignité humaine. La volonté, choix réfléchi, tenace et persévérant, se distingue de la velléité, essai de la volonté n'expérimentant qu'une seule fois.
Comme son maitre à penser, Descartes, Alain identifie conscience et psychisme. Le cogito, qui définit le sujet, implique une entière transparence de l'homme à lui-même. L'inconscient ne forme qu'un mythe dangereux qui va contre toute l'éthique. Dans la connaissance, Alain fait preuve de rationalisme et d'intellectualisme. Raison et jugement jouent un rôle majeur dans la formation du savoir. La perception renvoie toujours à un acte de jugement. Penser, c'est juger, procéder par idées abstraites et générales, grace au langage, formateur de la pensée.
Dans la morale comme dans la connaissance, c'est l'esprit qui définit l'homme. Etre moral, c'est également vouloir. Toute l'éthique d'Alain se centre ainsi autour de la volonté, distincte du désir. Vouloir, c'est donc agir activement, de façon réfléchie et méthodique, de manière à construire rationnellement sa vie, ses œuvres et ses facultés. Il va sans dire qu'Alain se présente comme un
philosophe de la liberté qui rejette tout fatalisme. C'est pourquoi, chez lui, le déterminisme ne s'oppose pas à l'éthique.
On pourrait croire Alain désuet voire caduque. Ce n'est nullement le cas. Le moi ne représente ni une fiction ni une abstraction. C'est sans doute là que réside toute l'originalité d'Alain. Selon lui, la véritable identité de l'être humain réside dans la Personne qui sort de l'abstraction pour s'engager dans la vie et les relations avec les autres, au point de se charger d'histoire et d'affects. Alain nous invite, alors, à penser le moi comme action théatrale d'un sujet capable de se dédoubler et d'échapper à la double réduction de la fiction et de l' abstraction. Car nombre des difficultés que nous avons à penser le moi provient de notre inaptitude à pouvoir aborder l'existence d'une façon théatrale, en faisant preuve, comme les acteurs, d'un jeu doué de conscience et d'une conscience qui joue le jeu.
Maurice MERLEAU-PONTY
Merleau-Ponty enseigna la philosophie à Chartres et à Paris où il est nommé professeur à la Sorbonne en 1949 puis élu professeur au Collège de France en 1952. Il obtient son doctorat ès lettres avec deux ouvrages : La Structure du comportement (1942) et la Phénoménologie de la perception (1945). Il fonde avec ses amis de l'École normale supérieure, Sartre et Simone de Beauvoir, la revue des Temps modernes, qu'il quittera en 1951. Ses deux derniers ouvrages importants sont Signes, qui parait en 1960, et Le Visible et l'Invisible, œuvre posthume et inachevée, qui parait en 1964. Il meurt brutalement en 1961, à l'age de 53 ans. La réflexion de Merleau-Ponty s'enracine dans une quadruple influence : celle de Hegel qui envisage la dialectique comme pensée des contradictoires, celle de Husserl qui se place dans l'exigence d'un retour aux choses mêmes, celle de Heidegger qui soutient que l'homme n'est homme que pour autant qu'il pose à nouveau la question de l'Être, et enfin celle de la tradition française, allant de Maine de Biran à Bergson. Merleau-Ponty s'efforce de retourner à l'expérience vécue et de décrire concrètement le réel. Le sens s'impose comme noyau de signification issu de l'homme et de son existence dans le monde ; il ne se sépare pas du non-sens, fond sur lequel se profilent nos entreprises. Le corps propre peut alors s'envisager non point comme réalité purement biologique et matérielle, mais comme centre existentiel et manière d'être-au-monde. La chair s'appréhende ainsi comme l'unité du corps et de l'ame, comme le corps informé par l'esprit. Pour comprendre l'exercice philosophique sous son aspect le plus authentique et le plus vrai, il faut se rappeler Socrate. La philosophie, cette recherche du sens et de la rationalité, comme l'a bien montré Socrate, ressemble aussi à un travail de redécouverte par lequel nous réapprenons à voir le monde. Revenir aux choses mêmes, c'est redécouvrir l'existence de l'homme et s'interroger sur elle. Cet engagement dans le monde semble inséparable du vécu corporel, dans la mesure où le corps conditionne toute notre expérience. Merleau-Ponty nous fait ainsi redécouvrir ce corps occulté par la philosophie classique et intellectualiste. Dans cette perspective, on ne saurait distinguer l'esprit et la matière. Ainsi, l'existence humaine apparait comme étant inséparable de la conscience lucide de la mort qui nous aide à mieux comprendre la vie. Pour Merleau-Ponty, mon existence n'est rien sans la relation à autrui ; loin d'être uniquement un conflit comme c'est le cas dans les analyses phénoménologiques de Sartre, la relation à autrui se dessine toujours sur le fond
d'une réciprocité possible, et d'une humanité partagée. Le langage manifeste cette communication. Il n'est pas un simple outil pour la pensée : il se confond avec toute l'activité de notre conscience. Approfondir la relation de l'homme aux autres, c'est tenter aussi de comprendre l'Histoire. Ici, Merleau-Ponty réfléchit sur Marx tout en évoquant, bien souvent, le fond de non-sens sur lequel peut se profiler l'entreprise historique. Analyser la relation de l'homme au monde et aux autres c'est, en définitive, reconnaitre que tout se loge dans la dimension culturelle de l'homme. En disant dans la Phénoménologie de la perception, ' je suis un corps ', Merleau-Ponty transgresse les limites traditionnelles de la philosophie. Car identifier le sujet, et d'une certaine façon, l'Être au corps, ne va pas de soi. Dans les débats qui se nouent autour de la notion de conscience, l'originalité d'une telle analyse est de nous offrir une voie dépassant l'alternative qui oppose déterminisme naturaliste et conscience. En faisant de la chair l'étoffe même de la subjectivité, ni le sujet, ni la nature ne disparaissent. Seul s'annule le fait de ne pas les penser assez, au point de faire apercevoir aux partisans du déterminisme qu'il n'y a pas plus charnel que le sujet, et aux partisans de la conscience qu'il n'y a rien de plus subjectif que la chair.
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