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PHILOSOPHIE DU DROIT
Table des matiÈres
Les philosophes de l'antiquit ont runi dans la mÊme ide beaucoup de choses absolument htrogÈnes ; chaque Dialogue de Platon nous en fournit des preuves en masse. La plus grave confusion de ce genre est celle entre l'thique et la politique. Ltat et le royaume de Dieu, ou la loi morale, sont choses tellement diffrentes, que le premier est une parodie du second, une amÈre moquerie de l'absence de celui-ci, une bquille au lieu d'une jambe, un automate au lieu d'un homme.
Les pseudo-philosophes de notre temps nous enseignent que l'tat se propose de promouvoir les fins morales de l'homme; mais cela n'est pas vrai, c'est plutt le contraire qui est vrai. La fin de l'homme - expression parabolique - n'est pas qu'il agisse ainsi ou autrement, car toutes les opra operata, toutes les choses faites, sont en elles-mÊmes indiffrentes. Non, la fin est que la volont, dont chaque homme est un complet spcimen, ou plutt cette volont mÊme, se tourne oÙ elle doit se tourner ; que l'homme (l'union de la connaissance et de la volont) reconnaisse cette volont, le ct effrayant de cette volont, qu'il se reflÈte dans ses actions et dans leurs horreurs. Ltat, qui ne vise qu'au bonheur gnral, entrave les manifestations de la volont mauvaise, nullement la volont elle-mÊme, ce qui serait impossible. C'est pour cette raison qu'il est trÈs rare qu'un homme aperoive toute l'abomination de ses actes dans le miroir de ceux-ci. Ou croyez-vous vraiment que Robespierre, Bonaparte, l'empereur du Maroc, les assassins que vous voyez rouer, soient seuls si mchants parmi tous les hommes ? Ne comprenez-vous pas que beaucoup agiraient absolument comme eux, s'ils le pouvaient ?
Maints criminels meurent plus tranquillement sur l'chafaud, que maints innocents dans les bras des leurs. Ceux-là ont reconnu leur volont, et l'ont carte. Ceux-ci n'ont pu l'carter, parce qu'ils n'ont jamais pu la reconnaitre. Le but de ltat est de crer un pays de Cocagne en opposition avec la vritable fin de la vie : la connaissance de la volont dans sa puissance terrible.
Bonaparte n'tait rellement pas pire que beaucoup d'hommes, pour ne pas dire la plupart. Il tait possd du trÈs habituel goÏsme qui cherche son bonheur aux dpens d'autrui. Ce qui le distingue, c'est simplement la force plus grande avec laquelle il satisfaisait à cette volont, l'intelligence, la raison et le courage plus grands, et enfin le champ d'action favorable que lui ouvrit le destin. Grace à tous ces avantages, il fit pour son goÏsme ce que des milliers de gens voudraient bien faire pour le leur, mais ne peuvent pas. Tout faible garon qui se procure, par de petites mchancets, un mince avantage au dtriment des autres, si peu grave que soit ce dtriment, est aussi mchant que Bonaparte.
Ceux qui se bercent de l'illusion qu'il y a une rcompense aprÈs la mort, voudraient que Napolon expiat par des tortures indicibles les maux innombrables qu'il a causs. Mais il n'est pas plus coupable que tous ceux qui, ayant la mÊme volont, n'ont pas la mÊme force. Par le fait qu'il possdait cette force rare, il a rvl toute la mchancet de la volont humaine; et les souffrances de son poque, comme le revers de la mdaille, rvÈlent la misÈre insparable de la volont mauvaise, dont l'apparition, dans son ensemble, est le monde lui-mÊme. Mais la fin et le but du monde, c'est prcisment qu'on reconnaisse par quelle misÈre innommable la volont est lie à la vie, et ne fait en ralit qu'une avec elle. L'apparition de Bonaparte contribue donc beaucoup à cette fin. Que le monde soit un fade pays de Cocagne, ce n'est pas le but de cette apparition; son but, au contraire, c'est qu'il soit un drame oÙ la volont de vivre se reconnaisse et s'carte. Bonaparte est simplement un puissant miroir de la volont humaine de vivre.
La diffrence entre celui qui cause la souffrance, et celui qui la subit, est seulement dans le phnomÈne. Tout cela est une seule volont de vivre, identique à de grandes souffrances ; et la connaissance de celles-ci peut dtourner et faire cesser cette volont.
Le principal avantage qu'avait l'ancien temps sur le nouveau, c'est peut-Être que, jadis, les paroles allaient aux choses, pour employer l'expression de Bonaparte, tandis que, maintenant, il n'en est pas ainsi. Je veux dire ceci ; dans l'ancien temps, le caractÈre de la vie publique, de l'tat et de la religion, comme celui de la vie prive, tait une affirmation nergique de la volont de vivre ; dans le temps nouveau, il est la ngation de cette volont, puisque cette ngation est le caractÈre du christianisme. Mais maintenant on rabat en partie, mÊme publiquement, de cette ngation, parce qu'elle est trop en dsaccord avec le caractÈre de l'humanit ; on affirme secrÈtement en partie ce que publiquement on nie. Aussi l'insuffisance et la fausset se rencontrent-elles partout. Voilà pourquoi le temps nouveau parait si petit à ct de l'ancien.
La mort de Socrate et le crucifiement du Christ font partie des grands traits caractristiques de l'humanit.
La nature est plus aristocratique que tout ce que l'on connait sur la terre. Car chaque diffrence que le rang ou la richesse en Europe, les castes dans l'Inde, tablissent entre les hommes, est petite en comparaison de la distance que la nature a irrvocablement tablie sous le rapport moral et intellectuel; et dans son aristocratie, comme dans les autres, il y a dix mille plbiens pour un noble, des millions de ces gens-là pour un prince; quant à la grande masse, elle a nom multitude, plebs, mob, rabble, la canaille.
Aussi ses patriciens et ses gentilshommes, soit dit en passant, doivent-ils, aussi peu que ceux des gouvernements, se mÊler à la racaille ; et plus ils sont haut, plus ils doivent vivre à part et rester inaccessibles.
On pourrait mÊme considrer ces diffrences de rang amenes par les institutions humaines, en quelque sorte comme une parodie ou un faux remplacement des diffrences naturelles. En effet, les signes extrieurs des premiÈres, comme les tmoignages de respect d'une part et les marques de supriorit d'autre part, ne peuvent convenir et Être appliqus srieusemeut qu'à l'aristocratie naturelle , tandis que, en ce qui concerne l'aristocratie humaine, ils ne peuvent constituer qu'une apparence. Ainsi celle-ci est par rapport à celle-1à ce qu'est le clinquant à l'or, un roi de thatre à un roi vritable.
Toute diffrence de rang de nature arbitraire est d'ailleurs reconnue volontiers par les hommes; la seule qui ne le soit pas, cest la diffrence de rang naturelle. Chacun est prÊt à reconnaitre l'autre pour plus distingu ou plus riche que soi, et en consquence à le vnrer; mais la diffrence infiniment plus grande que la nature a mise irrvocablement entre les hommes, personne ne veut la reconnaitre. En matiÈre d'intelligence, de jugement, de perspicacit, chacun se juge l'gal de l'autre. Aussi, dans la socit, sont-ce prcisment les meilleurs qui ont le dsavantage. Voilà pourquoi ils vitent cette socit.
Ce ne serait peut-Être pas un mauvais sujet pour un peintre, de reprsenter le contraste entre l'aristocratie naturelle et l'aristocratie humaine. Par exemple, un prince avec toutes les marques distinctives de son rang et une physionomie du dernier ordre, en conversation avec un homme dont la figure rvlerait la plus grande supriorit intellectuelle, mais qui serait revÊtu de haillons.
Une amlioration radicale de la socit humaine, et, par là, des conditions humaines en gnral, ne pourrait se produire d'une maniÈre durable, que si l'on rglait la liste des rangs positive et conventionnelle d'aprÈs la nature. Ainsi les parias s'acquitteraient des occupations les plus viles, les soudras se consacreraient aux travaux purement mcaniques, les vaysias à la haute industrie, et seuls les vritables tchatrias seraient hommes d'tat, gnraux et princes; quant aux arts et aux sciences, ils ne seraient cultivs que par les brahmines. Tandis qu'aujourd'hui la liste conventionnelle des rangs est bien rarement en accord avec la liste naturelle, ou plutt est frquemment en opposition criante avec elle. Mais, cela fait, on aurait enfin une vita vitalis. Sans doute, les difficults sont incommensurables. Il serait ncessaire que chaque enfant choisit sa vocation non d'aprÈs l'tat de ses parents, mais d'aprÈs l'avis d'un profond connaisseur des hommes.
Agir par instinct, c'est là un acte que l'ide du but ne prcÈde pas, comme pour tout autre acte, mais au contraire suit. L'instinct est par consquent la rÈgle a priori d'un acte dont le but peut Être inconnu, vu que l'ide de celui-ci n'est pas ncessaire pour parvenir à lui. Par contre, l'acte raisonnable ou intelligent obit à une rÈgle que l'intelligence, conformment à l'ide d'un but, a trouve elle-mÊme. Aussi cette rÈgle peut-elle Être errone, taudis que l'instinct est infaillible
Il y a donc trois espÈces d'a priori donns :
1 La raison thorique, c'est-à-dire les conditions de la possibilit de toute exprience ;
2 L'instinct, rÈgle pour atteindre un but inconnu favorable à mon existence matrielle;
3 La loi morale, rÈgle d'une action sans but.
1 L'acte raisonnable ou intelligent se produit d'aprÈs une rÈgle conformment à une ide de but;
2 L'acte instinctif, d'aprÈs une rÈgle sans ide de but;
3 L'acte moral, d'aprÈs une rÈgle sans but.
De mÊme que la raison thorique est l'ensemble des rÈgles conformment auxquelles doit se drouler toute ma connaissance, c'est-à-dire tout le monde exprimental, ainsi l'instinct est l'ensemble des rÈgles d'aprÈs lesquelles doivent se drouler tous mes actes, si nul trouble ne survient. Aussi le nom de raison pratique me semble-t-il le mieux appropri à l'instinct : car ce nom dtermine, comme la raison thorique, la mesure de toute exprience.
La loi morale, au contraire, n'est qu'une vue unilatrale, prise du point de vue de l'instinct, de la conscience meilleure, qui git au delà de toute exprience, c'est-à-dire de toute raison, aussi bien thorique que pratique (instinct). Elle n'a rien à faire avec celle-ci, except quand, par suite de son union mystrieuse avec elle en un seul individu, elles se rencontrent toutes deux, ce qui laisse à l'individu le choix d'Être ou raison, ou conscience meilleure.
Veut-il Être raison : il sera, comme raison thorique, un philistin; comme raison pratique, un coquin.
Veut-il Être conscience meilleure : nous ne pouvons rien dire positivement de plus sur lui, car notre assertion rside dans le domaine de la raison; nous pouvons donc seulement dire ce qui se passe dans celui-ci, en ne parlant que ngativement de la conscience meilleure. La raison prouve donc alors un trouble : nous la voyons carte comme thorique, et remplace par le gnie; nous la voyons carte comme pratique, et remplace par la vertu. La conscience meilleure n'est ni pratique ni thorique : car ce ne sont là que des divisions de la raison . Si l'individu se place encore au point de vue du choix, la conscience meilleure lui apparait du ct oÙ elle a cart la raison pratique (vulgò, l'instinct) comme loi imprative, comme obligation. Elle lui apparait, ai-je dit, c'est-à-dire qu'elle reoit cette forme dans la raison thorique, qui transforme tout en objets et en notions. Mais en tant que la conscience meilleure veut carter la raison thorique, elle n'apparait pas à celle-ci, parce que, dÈs qu'elle se manifeste ici, la raison thorique se trouve subordonne et ne sert plus que celle-là. Voilà pourquoi le gnie ne peut jamais rendre compte de ses propres œuvres.
Dans la moralit de nos actes, le principe juridique : audienda et altera pars, ne peut pas valoir; c'est-à-dire que la sensualit et l'goÏsme n'ont pas le droit de se faire entendre. Ce principe sera plutt, dÈs que la volont pure se sera exprime : nec audienda altera pars.
Au sujet de la misÈre humaine, il y a deux dispositions opposes de notre ame.
Dans l'une, la misÈre humaine nous affecte directement, elle se prend à notre propre personne, à notre propre volont, qui veut violemment et toujours est brise, ce qui prcisment constitue la souffrance. La consquence, qui se manifeste dans tous les affects et toutes les passions, c'est que la volont veut toujours plus violemment, et ce vouloir de plus en plus fort atteint sa fin seulement là oÙ la volont se dtourne et est remplace par une complÈte rsignation, c'est-à-dire par la dlivrance. Celui qui se trouve en plein dans la disposition dcrite, verra avec envie le bonheur des autres, et sans sympathie leurs souffrances.
Dans la disposition oppose à celle-ci, la misÈre humaine se prsente à nous seulement comme connaissance, c'est-à-dire directement. La contemplation de la souffrance des autres est prdominante, et dtourne notre attention de notre propre souffrance. Dans la personne des autres nous percevons la souffrance humaine, nous sommes remplis de compassion, et le rsultat de cette disposition est la bienveillance universelle, l'amour des hommes. Toute envie a disparu, et nous sommes heureux de constater, à sa place, chez ces hommes torturs, un lger adoucissement, une lgÈre joie.
Il y a de mÊme, au sujet de la mchancet et de la perversion humaines, deux dispositions opposes.
Dans l'une, nous percevons directement la mchancet chez les autres. De la naissent l'indignation, la haine et le mpris de l'humanit.
Dans l'autre, nous percevons indirectement la mchancet chez nous-mÊme. De là nait l'humilit, et mÊme la contrition.
Pour juger la valeur morale de l'homme, il est trÈs important de savoir lesquelles de ces quatre dispositions prdominent en lui par couples (à savoir une de chaque division). Dans les trÈs excellents caractÈres, c'est la seconde de la premiÈre division et la seconde de la suivante qui prdomineront.
De mÊme que le corps humain le plus beau recÈle dans son intrieur des ordures et des odeurs mphitiques, le plus noble caractÈre a des traits mchants, et le plus grand gnie des traces de petitesse et de folie.
Toutes les rÈgles gnrales sur l'homme et les prescriptions à son usage ne sont pas suffisantes, parce qu'elles partent de la fausse supposition d'une nature tout à fait ou a peu prÈs semblable chez tous les hommes, point de vue qu'a mÊme tabli expressment la philosophie d'Helvtius. Or, la diversit originelle des individus sous le rapport intellectuel et moral, est incommensurable.
La question de la ralit de la morale est celle-ci : Y a-t-il vritablement un principe fond, oppos au principe de l'goÏsme ?
Puisque l'goÏsme limite au propre individu seul le souci du bonheur, le principe oppos devrait tendre ce souci à tous les autres individus.
La racine du mchant caractÈre et du bon consiste, autant que nous pouvons la suivre par la connaissance, en ce que la conception du monde extrieur et particuliÈrement des Êtres anime, selon qu'ils sont plus semblables au propre moi de l'individu, est accompagne,dans le mchant caractÈre, d'un constant: Pas moi ! pas moi ! pas moi !
Dans le bon caractÈre, - nous supposons le bon caractÈre, comme le mauvais, dvelopp à un haut degr, - la base fondamentale de cette conception est au contraire un: Moi ! moi ! moi ! constamment senti, d'oÙ rsultent bienveillance envers tous les hommes, intentions secourables à leur gard, et en mÊme temps disposition dame gaie, rassure, tranquillise. C'est la disposition contraire qui accompagne le caractÈre mchant.
Mais tout ceci n'est que le phnomÈne, quoique saisi à la racine. Ici se prsente le plus difficile de tous les problÈmes : d'oÙ vient, tant donnes l'identit et l'unit mtaphysique de la volont comme chose en soi, l'norme diversit des caractÈres ? la mchancet diabolique de l'un ? la bont d'autant plus surprenante de l'autre ? Par quoi ceux-là ont-ils t TibÈre, Caligula, Caracalla, Domitien, Nron ? ceux-ci, les Antonins, Titus, Adrien, Nerva, etc. D'oÙ provient une diversit semblable dans les espÈces animales ? mÊme chez les individus des races animales suprieures ? La mchancet de la race fline, dveloppe le plus fortement chez le tigre ? La malice perfide du singe ? La bont, la fidlit, l'amour du chien ? de l'lphant ? etc. Le principe de la mchancet est manifestement le mÊme chez l'animal que chez l'homme.
Nous pouvons attnuer un peu la difficult du problÈme, en remarquant que toute cette diversit ne concerne finalement que le degr, et que les inclinations fondamentales, les instincts fondamentaux existent au complet dans tout Être vivant, mais seulement à un degr et en rapports trÈs diffrents. Cela toutefois ne suffit pas.
Comme explication, il nous reste seulement l'intellect et son rapport avec la volont. L'intellect, toutefois, n'est nullement en rapport direct avec la bont du caractÈre. Nous pouvons, il est vrai, dans l'intellect mÊme, distinguer de nouveau l'intelligence comme conception de rapports d'aprÈs le principe de la raison, et la connaissance apparente au gnie, indpendante de cette loi, le principium individuationis, pntrante, plus directe, qui conoit aussi les ides : c'est celle qui se rapporte au moral. Mais l'explication à ce sujet laisse aussi beaucoup encore à dsirer. Les beaux esprits sont rarement de belles ames , a remarqu justement Jean-Paul; ils ne sont jamais non plus l'inverse. Bacon de Vrulam, qui fut moins, il est vrai, un bel esprit qu'un grand esprit, tait un coquin.
J'ai allgu comme principium individuationis le temps et l'espace, vu que la multiplicit des choses homogÈnes n'est possible que par eux. Mais la multiplicit est aussi htrogÈne ; elle et la diversit ne sont pas seulement quantitatives, elles sont aussi qualitatives. D'oÙ provient la derniÈre, surtout au point de vue thique ? Serais-je par hasard tomb dans la faute oppose à celle de Leibnitz, quand il tablit son identitas indiscernibilium ?
La diversit intellectuelle a sa raison premiÈre dans le cerveau et le systÈme nerveux, et, par là, est un peu moins obscure : intellect et cerveau sont appropris aux besoins de l'animal, par consquent à sa volont. Chez l'homme seul se trouve parfois, par exception, un excdent, qui, lorsqu'il est fort, donne le gnie.
Mais la diversit thique semble provenir directement de la volont. Autrement elle ne serait pas non plus hors du temps, vu que l'intellect et la volont sont runis seulement dans l'individu. La volont est hors du temps, ternelle, et le caractÈre est inn, donc sorti de cette ternit ; consquemment, on ne peut l'expliquer par rien d'immanent.
Peut-Être, aprÈs moi, quelqu'un viendra-t-il clairer et illuminer cet abime.
C'est seulement parce que la volont n'est pas assujettie au temps, que les blessures de la conscience sont incurables ; les souffrances qu'elles infligent ne s'apaisent pas peu à peu, comme les autres. Au contraire, une mauvaise action continue à oppresser la conscience, au bout d'un grand nombre d'annes, avec la mÊme force que lorsqu'elle tait rcente.
Comme le caractÈre est inn, que les actions sont seulement ses manifestations, que l'occasion de grands mfaits ne se prsente pas souvent, qu'on recule devant des raisons opposes, que nos sentiments se rvÈlent à nous-mÊmes par des dsirs, des ides, des affects qui restent inconnus pour les autres, - on pourrait penser qu'un homme a jusqu'à un certain point une mauvaise conscience inne, sans avoir commis de grandes mchancets.
L'homme, en se confondant avec son objet immdiat, en se reconnaissant comme un Être dans le temps, en croyant Être devenu et devoir passer, ressemble à un individu qui, debout sur le rivage, regarde les flots et s'imagine nager lui-mÊme, tandis que ceux-ci restent immobiles; et cependant il reste en repos, et les flots seuls s'coutent.
De mÊme que nous n'entendons d'un orchestre qui se prpare à jouer une superbe musique, que des sons confus, des accords fugitifs, par intervalles des morceaux qui commencent, mais ne s'achÈvent pas, bref, des notes composites de tout genre, ainsi, dans la vie, transparaissent seulement des fragments, de faibles accords, des commencements et des chantillons inachevs de flicit, d'tat satisfait, apais, riche en soi, qui se manifeste hors de la confusion de l'ensemble.
Et quelque morceau qu'un musicien de l'orchestre entame, il doit l'abandonner, car ce morceau n'est pas à sa place ; ce n'est pas le vrai morceau, le grand et beau morceau qui doit venir.
Rien de plus sot que de railler les contes de Faust et d'autres, qui se sont donns au diable. La seule chose fausse dans ces histoires, c'est qu'elles ne parlent que de quelques individus, alors que nous sommes tous dans le mÊme cas et avons conclu le mÊme pacte. Nous vivons, peinons horriblement pour maintenir notre vie, qui n'est qu'un long dlai entre la sentence du juge et l'excution du condamn ; nous engraissons le dlinquant qui doit nanmoins finir par Être pendu; nous jouissons, et, pour tout cela, nous devons mourir ; pour tout cela, nous sommes soumis à la mort, qui n'est pas une plaisanterie, mais une douloureuse certitude ; elle est rellement la mort pour tous les Êtres terrestres, pour nous comme pour les animaux, pour les animaux comme pour les plantes, comme pour tout tat de la matiÈre. Il en est ainsi, et la conscience empirique raisonnable n'est vraiment capable d'aucune consolation. En revanche aussi, les tourments ternels aprÈs la mort sont une chose dpourvue de sens, aussi bien que la vie ternelle : car l'essence du temps, du principe mÊme de la raison, dont le temps n'est qu'une forme, est prcisment qu'il ne peut rien y avoir de fixe, de persistant, que tout est passager, que rien ne dure. La substance persiste , disent quelques-uns. Mais Kant leur rpond : Elle n'est pas une chose en soi, elle n'est qu'un phnomÈne . Il veut dire : elle n'est que notre reprsentation, comme toute chose connaissable ; et nous ne sommes ni une substance, ni des substances.
Quand j'crase une mouche, il est bien clair que je n'ai pas tu la chose en soi, mais seulement son phnomÈne.
Je ne puis m'empÊcher de rire, quand je vois ces hommes rclamer sur un ton assur et hardi la continuation, à travers l'ternit, de leur misrable individualit. Que sont-ils autre chose, eu effet, que les pierres à face humaine emmaillotes qu'on voit avec bonheur Kronos dvorer, tandis que seul le vrai et immortel Zeus, à l'abri des atteintes de celui-ci, grandit pour rgner ternellement ?
L'unique tmoin des mouvements et des pensers les plus secrets de l'homme, c'est la conscience. Mais cette conscience, il doit un jour la perdre, et il le sait ; et c'est peut-Être ce qui le pousse avant tout à croire qu'il y a encore un autre tmoin de ses mouvements et de ses pensers les plus secrets.
L'homme est une mdaille oÙ est grav d'un ct : Moins que rien , et, de l'autre : Tout en tout .
De mÊme, tout est matiÈre, et en mÊme temps tout est esprit. (Volont et reprsentation.)
De mÊme, ai-je toujours t et serai-je toujours ; et en mÊme temps je suis phmÈre comme la fleur des champs.
De mÊme, la seule chose vraiment persistante est la matiÈre ; et, en mÊme temps, seulement la forme. La scolastique forma dat esse rei doit Être modifie ainsi : (rei) dat forma essentiam, materia existentiam.
De mÊme, il n'existe en ralit que les ides; et, en mÊme temps, seulement les individus. (Ralisme, nominalisme.)
De mÊme, le dieu de la mort, Yama, a deux visages : l'un froce, l'autre infiniment aimable.
Il peut encore exister d'autres contradictions analogues, dont la vraie philosophie seule est en tat de donner la solution.
Si l'esprit de l'espÈce qui dirige deux amants s'exprimait chez eux en ides claires, au lieu de s'exprimer par des sentiments instinctifs, la haute posie de leur dialogue amoureux, qui actuellement ne parle, en images romanesques et en paraboles idales, que de sentiments ternels d'aspiration dmesure, de pressentiments d'une volupt sans bornes, d'une flicit ineffable, de fidlit ternelle, et qui clÈbre en mtaphores hyperboliques les perles des dents de la desse qu'on adore, les roses de ses joues, le soleil de ses yeux, l'albatre de son sein, ses dons intellectuels imaginaires, etc., - cette haute posie se traduirait à peu prÈs en ces termes :
DAPHNIS. - Je voudrais faire cadeau d'un individu à la gnration future, et je crois que tu pourrais lui octroyer ce qui me manque.
CHLO. - J'ai la mÊme intention, et je crois que tu pourrais lui donner ce que je n'ai pas. Voyons un peu.
DAPHNIS. - Je lui donne une haute stature et la force musculaire; tu n'as ni lune ni l'autre.
CHLO. - Je lui donne une chair opulente et de trÈs petits pieds; tu n'as ni l'une ni les autres.
DAPHNIS. - Je lui donne une fine peau blanche, que tu n'as pas.
CHLO. - Je lui donne des cheveux et des yeux noirs : tu es blond.
DAPHNIS. - Je lui donne un nez aquilin.
CHLO. - Je lui donne une petite bouche.
DAPHNIS. - Je lui donne du courage et de la bont d'ame, qu'il ne pourrait tenir de toi.
CHLO. - Je lui donne un front haut et bien model, l'esprit et l'intelligence, qu'il ne pourrait tenir de toi.
DAPHNIS. - Taille droite, bonnes dents, sant solide, voilà ce qu'il reoit de nous deux. Vraiment, tous deux ensemble nous pouvons douer en perfection l'individu futur. Aussi je te dsire plus que toute autre femme.
CHLO. - Et moi aussi je te dsire.
Plus on a d'esprit, plus l'individualit est dtermine; plus sont dtermines aussi, par consquent, les exigences relatives à l'individualit de l'autre sexe rpondant à celle-ci. D'oÙ il suit que les individus spirituels sont particuliÈrement appropris à l'amour passionn.
Par un vœu monastique religieusement observ, ou par n'importe quelle ngation de la volont de vivre, l'acte d'affirmation qui a fait entrer l'individu dans l'existence, est supprim.
Celui qui affronte la mort pour sa patrie a triomph de l'illusion qui limite l'existence à la propre personne. Il l'tend à l'amas d'hommes de sa patrie (et par là à l'espace) dans lequel il continue à vivre.
Il en est de mÊme à l'occasion de chaque sacrifice fait dans l'intrÊt des autres : on largit son existence jusqu'à l'espÈce, - quoique, pour l'instant, seulement à une partie de cette espÈce, celle qu'on a prcisment sous les yeux. La ngation de la volont de vivre provient en tout premier lieu de l'espÈce. Aussi les professeurs d'asctisme, quand on professe celui-ci, tiennent-ils les bonnes œuvres, et plus encore les crmonies religieuses, pour inutiles et indiffrentes.
Les caprices rsultant de l'instinct sexuel sont tout à fait analogues aux feux follets. Ils produisent la plus vive illusion. Qu'on les suive, ils nous conduisent dans le marcage, et s'vanouissent.
(L'illusion du plaisir).
Les illusions que nous apprÊtent les dsirs rotiques sont comparables à certaines statues qui, par suite de l'endroit oÙ elles se dressent, sont destines à n'Être vues que de face; alors elles sont belles, tandis que, de dos, elles offrent un vilain aspect. Il en est ainsi du mirage de l'amour. Tant que nous l'avons en perspective, tant que nous le voyons venir, c'est un paradis de volupt ; mais quand il est pass et que nous le contemplons par derriÈre, il se montre comme une chose futile, insignifiante, mÊme rpugnante.
Ils doivent mÊme driver seulement de la constatation de celle-ci, puisque tous paraissent indiquer bien autre chose quune simple supriorit de puissance, pour la constatation de laquelle ils nont manifestement pas t imagins.
Dans le livre de Jacobi, Des choses divines et de leur rvlation, p. 18 (1811), on trouve un mlange de la conscience meilleure avec linstinct par un syncrtisme dont seul est capable un esprit aussi antiphilosophique que Jacobi.
(Voir sur Jacobi la note dEcrivains et style, p. 143.)
Voir, sur lapriorit de linstinct, Platon dans son PhilÈbe. Elle lui apparait comme le souvenir dune chose quon a pas encore prouve. De mÊme, dans le Phdon et ailleurs, tout savoir est pour lui un souvenir : il na pas dautre mot pour exprimer la priori avant toute exprience.
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