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Religion et morale

l'histoire



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DOCUMENTE SIMILARE

Religion et morale

1. – Influence de la religion chez les Musulmans



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Nous avons déjà exposé la doctrine du Coran telle qu'elle fut enseignée il y a treize siècles par Mahomet ; mais le Coran, c'est la loi écrite, et il y a loin souvent des prescriptions écrites à la façon dont elles sont observées. Leur importance ne peut se mesurer que par l'action qu'elles exercent dans la vie. Ce sont donc les limites de cette action qu'il importe de connaitre. Nous ne pourrons le faire qu'en pénétrant dans des détails que nous n'avons pas exposés encore.

Mesurée au degré d'influence exercée sur les hommes, la religion de Mahomet ne le cède à aucune autre. Quelles que soient les races où a été enseigné le Coran, ses prescriptions sont aussi fidèlement observées aujourd'hui qu'elles l'étaient il y a treize siècles. On pourra rencontrer chez les musulmans des indifférents et quelques rares sceptiques, on ne trouvera personne capable de braver l'opinion en n'observant pas les prescriptions fondamentales de la loi religieuse, telles que le jeûne et la prière dans les mosquées. Le jeûne du Ramadan est autrement rigoureux que celui que s'imposent quelques chrétiens pendant le carême, et cependant il est observé par tous les musul­mans avec la plus scrupuleuse exactitude. De même pour la prière. Dans toutes les régions de l'Asie et de l'Afrique que j'ai parcourues, j'ai toujours constaté que cette prescription fondamentale du Coran était très ponctuellement suivie. Ayant eu occa­sion de naviguer sur le Nil, en compagnie d'une bande d'Arabes enchainés, composée d'individus arrêtés pour toutes sortes de crimes, j'ai été très frappé de voir que ces hommes, qui avaient bravé, au mépris des plus redoutables chatiments, toutes les lois sociales, n'osaient pas cependant braver celles du prophète. Lorsqu'arrivait l'heure de la prière, tous soulevaient leurs chaines pour se prosterner et adorer le redoutable Allah.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 325

la figure # 203

Un des mihrabs de la mosquée El Azhar, au Caire ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Il faut avoir présent à l'esprit cet immense ascendant des prescriptions religieuses sur les Orientaux pour arriver à connaitre ces peuples, que les Européens compren­nent généralement si peu. La religion, dont l'influence est si faible sur nous, exerce au contraire une action prépondérante sur eux, et c'est par elle seulement qu'on peut agir sur leur esprit. Ce n'est que par elle, en effet, qu'on a réussi à les soulever lors de la récente révolution qui a ensanglanté l'Égypte. Je n'ai jamais aussi bien compris à quel point il était difficile d'arriver à se représenter les idées d'un autre peuple, qu'en voyant les journaux européens s'imaginer que les Arabes de l'Égypte se révoltaient pour réclamer des droits politiques, qui eussent été en réalité complètement incom­préhensibles pour eux. Habitués à obéir aux caprices d'un Dieu souverain, ils obéissent aussi facilement à ses représentants. L'homme qui leur parle au nom d'Allah est toujours sûr de se faire obéir, et la seule question qu'ils puissent se poser est de savoir si cet homme parle bien, en réalité, au nom d'Allah. Sceptique ou croyant, l'observateur doit respecter cette loi profonde. Elle a permis autrefois aux Arabes de faire la conquête du monde et leur permet aujourd'hui de supporter avec la plus complète résignation toutes les duretés du sort. De telles croyances créent aux foules ces illusions heureuses qui sont l'image du bonheur. En leur faisant espérer pour une vie future les félicites que l'heure présente leur refuse, elles les préservent des noirs désespoirs et des révoltes furieuses que ces espoirs engendrent. Celui qui dédaigne de telles illusions devrait, pour être conséquent, les dédaigner toutes, et mépriser aussi la gloire, l'ambition, l'amour et toutes ces chimères vénérables ou charmantes que nous passons notre vie à poursuivre, et qui, elles aussi, ne sont, au fond, que des illusions. Mais ces illusions ont été jusqu'ici les plus puissants mobiles de la conduite des hommes, et le penseur qui découvrira le moyen de les remplacer n'est pas né encore.

2. - Cérémonies religieuses
de l'islamisme

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Sectes diverses de l'islamisme Avant de décrire les principales cérémonies de la religion des Arabes, je dirai quelques mots des sectes diverses de l'islamisme. Comme tous les cultes possibles, il en renferme plusieurs. Dès les premiers temps de l'hégire, on en comptait soixante-douze. Le protestantisme en compte à lui seul davantage.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 326

la figure # 204

Tombeau d'un saint arabe dans le bois sacré de Blidah (Algérie) ; d'après une photographie

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Les deux plus anciennes, et également les deux plus importantes des sectes mahométanes, sont celles des Chiites et des Sunnites. Les Chiites prétendent que la succession de Mahomet revenait à Ali, gendre du prophète, et accordent à celui-ci presque autant d'importance qu'à Mahomet lui-même. Les Sunnites soutiennent, au contraire, que la succession des khalifes, telle qu'elle eut lieu, a été régulière. Ils représentent le parti orthodoxe.

En dehors de ces deux sectes, il en existe beaucoup d'autres secondaires. La seule vraiment importante est celle des wahabites, qui, bien que ne comptant qu'un siècle à peine d'existence, a réussi à fonder au centre de l'Arabie un puissant empire. Elle prétend rétablir l'islamisme dans son ancienne pureté. Les wahabites sont, en réalité, les protestants de l'islamisme.

Les Persans appartiennent à la secte chiite, les Turcs et les Arabes à la secte sunnite ; les habitants du Nedjed sont wahabites.

Ces branches diverses du même culte se supportent généralement avec beaucoup de tolérance ; et, à ce point de vue, elles pourraient servir d'exemple, surtout en Syrie, aux diverses sectes chrétiennes. Il n'y a jamais eu dans l'islamisme d'inquisition chargée de faire prévaloir par le fer et le feu une doctrine sur l'autre. À la mosquée El Azhar, le foyer de l'enseignement religieux le plus important de l'Orient, les profes­seurs bien qu'appartenant à des rites différents vivent dans la meilleure intelligence.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 327

la figure # 205

Partie supérieure de la chapelle sépulcrale des khalifes abassides
récemment découverte au Caire ; d'après une photographie.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Énumérons à présent les principales cérémonies religieuses des Arabes :

Prières. - Parmi les pratiques religieuses prescrites par la loi de Mahomet, une des plus importantes est la prière, et le musulman, à quelque race ou catégorie sociale qu'il appartienne, ne s'y soustrait point.

D'après la règle établie par le prophète, la prière doit être répétée cinq fois par jour, à des heures régulières ; et, sur toute la vaste surface du globe qui a le Coran pour loi, les muezzins rappellent aux fidèles, du haut des minarets, ce devoir sacré. Cet appel a lieu au point du jour, à midi, une heure et demie environ avant le coucher du soleil, au coucher du soleil, et une heure après que celui-ci a disparu de l'horizon. À ces heures réglementaires, on voit apparaitre sur toutes les tours des mosquées les muezzins chantant d'une voix sonore : « Dieu est grand ; il n'y a d'autre dieu que Dieu ; Mahomet est son prophète ; venez à la prière. »

À cet appel, tous les croyants portent la main à la tête et à la ceinture, en récitant des passages du Coran, et se prosternent plusieurs fois la face contre terre à des intervalles déterminés. Le vendredi, jour de réunion dans les mosquées, la prière du midi a lieu trois quarts d'heure plus tôt et est suivie d'une prédication.

La prière doit être précédée d'ablutions, et ces ablutions, pour lesquelles il existe une fontaine spéciale dans toutes les mosquées, sont religieusement observées.

Jeûnes - Le jeûne est également une des prescriptions fondamentales de l'islamis­me, et il est suivi par toutes les classes de la société, sans exception, avec une sévérité dont l'Européen peut se faire difficilement une idée.

Ce jeûne est pratiqué pendant le mois du Ramadan qui tombe à des époques différentes de l'année. Il consiste à ne rien prendre, pas même un verre d'eau ou la fumée d'une cigarette, du soleil levé au soleil couché.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 328

la figure # 206

Plafond de la mosquée Mouaiad au Caire ; d'après un dessin de Coste.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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La privation de boisson, et surtout de tabac, est si grande pour les musulmans, qu'on les voit, le narghilé ou la cigarette d'une main, le charbon allumé de l'autre, attendre, avec impatience, que les muezzins aient annoncé, du haut des mosquées, que l'heure de la rupture du jeûne a sonné. On tache alors de compenser la rigueur de l'abstinence du jour par un abondant repas. Les cafés sont brillamment éclairés ; les jeux et les spectacles succèdent aux repas, et les mosquées restent illuminées toute la nuit.

Fêtes religieuses - En dehors du Ramadan que je viens de mentionner, l'islam compte beaucoup de fêtes religieuses. Je citerai parmi elles celle de la naissance du prophète, celle du milieu du mois de Shaaban, nuit redoutée où sont pesées et réglées les destinées des hommes, et enfin celle du sacrifice d'Abraham, ou grand Beyram, qui dure quatre jours et se célèbre le dernier mois de l'année. Cette dernière est l'occasion de grandes solennités. Chaque famille tue un agneau ou un autre animal, le peuple se pare de ses plus beaux vêtements et circule dans les rues. Les mosquées sont brillamment illuminées de ballons de couleur. Un des plus féeriques spectacles que j'ai eu occasion de contempler est celui de l'imposante rade de Rhodes vue de la mer un soir de la fête du Beyram.

La religion des Arabes a tellement pénétré dans tous les détails de leur vie intime qu'ils n'ont guère de cérémonies qu'on ne puisse qualifier de religieuse. C'est ainsi, par exemple, que le mariage, la circoncision, etc., décrites dans un précédent chapitre, sont des cérémonies à la fois religieuses et civiles.

Pèlerinage de la Mecque Le pèlerinage de la Mecque, que chaque mahométan doit tacher d'accomplir une fois au moins dans sa vie, est une des prescriptions les plus importantes de Mahomet, une de celles dont l'influence politique est la plus considérable.

Le pèlerinage de la Mecque se fait par grandes caravanes, dont les principales partent du Caire et de Damas. Le voyage est long et coûte la vie à bien des pèlerins ; mais pour voir ce temple sacré de la Kaaba, déjà célèbre au temps de Mahomet, et dont l'origine remonte aux plus lointaines périodes de l'histoire, aucune fatigue n'est trop grande.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 329

la figure # 207

Vitrail d'une mosquée arabe du Caire ; d'après une photographie de l'auteur.

la figure # 208

Vitraux d'une mosquée du Caire ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeables sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Arrivés près de la Mecque, les pèlerins se font raser, ôtent leurs vêtements, se purifient par des ablutions, et ne conservent qu'un pagne pour costume. Ils font alors sept fois le tour de la Kaaba, baisent la fameuse pierre noire dont nous avons parlé dans un autre chapitre, vont entendre la prédication sur le mont Arafa, près de la Mecque, et jettent des pierres à Satan dans la vallée où Abraham repoussa de la même façon le démon qui le tentait. Le pèlerinage se termine en immolant des animaux. Les mahométans les plus fervents visitent ensuite, Médine où est le tombeau du prophète.

Le pèlerinage de la Mecque amène tous les ans dans cette ville un nombre de musulmans qui s'élève souvent à 200 000. Il met en présence des mahométans venus des divers points de l'islam, depuis le Maroc et le centre de l'Afrique jusqu'à l'Inde et les frontières de la Chine. Or, d'après les prescriptions du Coran, tous les mahométans sont frères ; et ce serait même, suivant les théologiens arabes, afin de rendre cette fraternité effective que le pèlerinage aurait été institué. Il en résulte que les pèlerins doivent se voir, s'enquérir les uns les autres de leurs besoins, et s'entendre sur tout ce qui concerne les questions religieuses. Idées et projets d'avenir élaborés dans ces réunions solennelles où, sous peine de mort, un chrétien ne pourrait pénétrer, sont ensuite portés par les pèlerins sur tous les points de l'islam. Il n'est point besoin d'insister sur l'importance politique que peuvent avoir, à un moment donné, de telles réunions d'hommes venus de si loin et unis par des intérêts religieux communs.

En dehors de son importance religieuse et politique, la Mecque a encore une im­portance commerciale très grande. C'est un des plus importants marchés de l'univers, et les produits venus des points les plus reculés du monde y sont échangés.

Cérémonies pratiquées par les derviches - L'ascétisme et l'exaltation religieuse se sont rencontrés dans l'islamisme, comme dans les autres cultes, et ont eu nécessai­rement pour résultat la formation de corporations religieuses exclusivement occupées de leur salut. Il en est généralement ainsi dans toutes les religions dont le fond est pessimiste, et le Coran est presque aussi pessimiste que le Nouveau Testament. Lui aussi considère la vie terrestre comme un temps d'épreuve, qui ne doit servir à l'hom­me qu'à se préparer à la vie future. Il en résulte pour les ames timorées et scrupuleuses le désir de s'affranchir des mécomptes de l'existence, en gagnant le ciel par une vie ascétique.

Parmi les corporations religieuses les plus intéressantes, il faut mentionner surtout les derviches hurleurs et tourneurs. Ces noms leur viennent, comme on le sait, des manœuvres qu'ils exécutent pour se mettre dans un état d'extase analogue à celui qui s'observait si fréquemment autrefois chez les moines de nos couvents.

J'ai eu l'occasion d'observer de près les derviches tourneurs à Constantinople, et l'état dans lequel ils tombent m'a paru très voisin de certaines formes de somnam­bulisme artificiel. C'est en tournant sur eux-mêmes pendant longtemps qu'ils arrivent à ce résultat. Leurs danses sont précédées de chants auxquels j'ai trouvé une analogie frappante avec ceux de nos églises. La musique en est plus sourde, mais possède en même temps plus de douceur et de mélodie. Le thème aigu des flageolets sautille sans cesse sur le roulement des tambourins et sur la basse ronflante d'une sorte de violon­celle, qui marque le rythme.

J'ai compris facilement l'influence de cette musique devait avoir sur les croyants qui l'entendent, en constatant qu'elle me plongeait moi-même dans une rêverie très voisine du sommeil. Th. Gautier a très nettement noté cet effet dans les lignes sui­vantes :

« Cet air, d'un charme bizarre, me faisait naitre au cœur des nostalgies de pays inconnus, des tristesses et des joies inexplicables, des envies folles de m'abandonner aux ondulations enivrantes du rythme. Des souvenirs d'existences antérieures me revenaient en foule, des physionomies connues et que cependant je n'avais jamais rencontrées dans ce monde me souriaient avec une expression indéfinissable de reproche et d'amour ; toutes sortes d'images et de tableaux, des rêves oubliés depuis longtemps s'ébauchaient lumineusement dans la vapeur d'un lointain bleuatre ; je commençais à balancer ma tête d'une épaule à l'autre, cédant à la puissance d'incantation et d'évocation de cette musique si contraire à nos habitudes, et pourtant d'un effet si pénétrant. »

Lorsque l'action de cette musique et de ces chants a continué pendant un certain temps, les derviches se débarrassent de leurs manteaux, ne conservent que leur tunique, étendent les bras en croix, et exécutent au son des instruments une sorte de valse en tournant circulairement sur eux-mêmes et progressant fort lentement. Leur tête est penchée de côté ou à demi renversée, leurs yeux presque fermés, leur bouche entr'ouverte. Dans cet état, ils sont évidemment inconscients et insensibles. La pose fatigante de leurs bras, qu'un sujet à l'état normal ne pourrait conserver quelques minutes, ne leur occasionne aucune gêne apparente pendant plus d'un quart d'heure. Leurs mouvements ont une douceur et une régularité remarquables. Ils me semblaient perdus dans des rêves infinis dont aucune plume ne saurait rendre le charme :

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 330

la figure # 209

Vitrail d'une mosquée arabe ; d'après une photographie de l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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« Que voyaient-ils dans ces visions qui les berçaient ? Les forêts d'émeraude à fruits de rubis, les montagnes d'ambre et de myrrhe, les kiosques de diamants et les tentes de perles du paradis de Mahomet ? leurs bouches souriantes recevaient sans doute les baisers parfumés de musc et de benjoin des houris blanches, vertes et rouges ; leurs yeux fixes contemplaient les splendeurs d'Allah scintillant avec un éclat à faire paraitre le soleil noir, sur un embrasement d'aveuglante lumière ; la terre, à laquelle ils ne tenaient que par un bout de leurs orteils, avait disparu comme un papier brouillard qu'on jette sur un brasier, et ils flottaient éperdument dans l'éternité et l'infini, ces deux formes de Dieu. »

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 331

la figure # 210

Flambeau du sultan Kalaoun ; d'après un dessin de Prisse d'Avesne.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Quand les derviches tourneurs sont sortis de leur extase, ils s'arrêtent, s'age­nouillent et sortent de la salle.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 332

la figure # 211

Flambeau du sultan Kalaoun ; d'après un dessin de Prisse d'Avesne.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Je n'ai pas assisté aux cérémonies des derviches hurleurs ; mais, d'après les des­criptions qu'on en a données, il me semble évident qu'ils tombent dans un état hypnotique analogue à celui produit par la danse et la musique chez les derviches précédents. En hurlant sans cesse certaines phrases et en accompagnant les mêmes paroles des mêmes gestes, ils arrivent à un état d'insensibilité tel qu'ils peuvent, comme les Aissaouas, se percer les membres avec des instruments pointus, sans rien sentir.

Monuments religieux divers : mosquées, couvents, écoles, etc Le véritable centre de la vie arabe est la mosquée. Au lieu d'être, comme le temple chrétien, un édifice exclusivement consacré à adorer le Seigneur, elle sert, à la fois, d'endroit de réunion, d'adoration, d'enseignement et même d'habitation.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 333

la figure # 212

Ancienne lampe de mosquée, en bronze ; photographiée au Caire par l'auteur.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Nous avons déjà indiqué le plan général des mosquées. Les plus anciennes sont toutes construites sur le même type. Elles sont formées par une cour rectangulaire entourée de galeries, dont un coté, plus profond que les trois autres, sert de sanctuaire. Au milieu de cette cour existe une fontaine pour les ablutions. Dans le sanctuaire, on trouve toujours le mihrab, niche creusée dans le mur et dirigée du côté de la Mecque ; le minbar, chaire d'où le prédicateur parle aux fidèles ; et, dans leur voisinage, un pupitre sur lequel le Coran reste ouvert pendant le service religieux. Un grand nombre de lampes sont suspendues au plafond de l'édifice. Le mobilier ne consiste qu'en nattes et en tapis.

À côté de ce sanctuaire se trouve généralement une salle formant chapelle conte­nant le tombeau du fondateur de la mosquée.

Aux angles de chaque mosquée se trouvent toujours des tours, nommées minarets, du haut desquelles les crieurs appellent les fidèles à la prière.

Dans les dépendances des mosquées on voit souvent des bains publics, une hô­tellerie pour les voyageurs, des écuries pour les animaux, un hôpital pour les malades, et une école (medressé) pour les enfants. La confusion de la vie civile et de la vie religieuse, si caractéristique chez les mahométans, se retrouve, comme on le voit, dans leurs mosquées.

Les mosquées sont ouvertes depuis la pointe du jour jusqu'à l'heure de la dernière prière du soir, c'est-à-dire deux heures environ après le coucher du soleil.

Chaque mosquée est indépendante. Elle s'entretient avec les revenus des biens qui lui ont été attachés par ses fondateurs, et qu'augmentent souvent les pieuses dona­tions. Elle est gérée par un intendant, assisté d'un certain nombre d'imans, sortes de prêtres secondaires exerçant souvent d'autres métiers en même temps, et qui sont chargés de lire chaque jour la prière aux heures canoniques. Imans, portiers, crieurs, porteurs d'eau, domestiques, etc. forment un personnel assez nombreux même dans les moindres mosquées.

Centre de réunion et de prière, lieu d'abri pour l'étranger, de secours pour le malade, les mosquées sont encore un centre d'enseignement. Les plus petites servent d'école aux enfants, les plus grandes sont de véritables universités parfois aussi importantes que celles d'Europe. Telle est, par exemple, la célèbre mosquée el Azhar, au Caire, qui compte 300 professeurs et plus de 10 000 étudiants venus de tous les points de l'islam. Elle constitue un centre religieux et littéraire très important, car c'est dans son sein que se forment les personnages les plus influents, prêtres, savants, magistrats, etc. L'enseignement y est malheureusement resté ce qu'il était lorsqu'a commencé la décadence des Arabes, et représente à peu près le programme de nos universités à la fin du moyen age. Outre la lecture et l'explication du Coran, on y enseigne l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie, la grammaire, la littérature, la rhétorique et la logique.

L'analogie de l'enseignement donné dans les mosquées avec celui de nos ancien­nes universités ne s'arrête pas seulement aux programmes, elle s'étend encore aux méthodes et à la vie de l'étudiant. En parcourant la mosquée el Azhar pendant les cours des professeurs, il me semblait qu'une baguette magique m'avait transporté dans une de nos vieilles universités du treizième siècle. Même confusion dans les études théologiques et littéraires, mêmes méthodes, même organisation des étudiants réunis en corporations, et jouissant des mêmes immunités et franchises. Dans l'immense salle, qui sert aussi de sanctuaire, chaque maitre est assis sur des nattes, entouré d'un cercle d'élèves vêtus d'un cafetan noir et d'un turban blanc, la plume de roseau à la main pour prendre des notes et l'écritoire passée à la ceinture.

À la mosquée el Azhar, les étudiants les plus pauvres sont entretenus par la mosquée et logent dans ses dépendances.

Tous ces jeunes gens m'ont semblé ardents au travail et animés d'un goût très vif pour l'étude. Pour le satisfaire, quelques-uns viennent des points les plus reculés de l'islam, tels que l'Inde ou le Maroc. La science, si dédaignée par d'autres religions, est estimée très haut par les musulmans. C'est à eux, du reste, qu'est due cette réflexion très juste : « Sont hommes ceux qui apprennent ou qui savent ; le reste est vermine ou bon à rien. »

En dehors des mosquées, il existe d'autres monuments religieux de moindre importance, tels que les tombeaux de saints, dits marabouts, petites constructions cubiques surmontées d'une coupole ; on les rencontre dans presque tous les pays mahométans. Celui représenté dans cet ouvrage a été pris dans un site charmant, le bois sacré, près de Blidah.

Il faut encore rattacher aux monuments religieux les couvents, ou tekkés, dans lesquels vivent certaines corporations de derviches ; mais leur nombre est fort res­treint, surtout si on les compare aux établissements analogues si répandus chez tous les peuples chrétiens de l'Europe. Ils diffèrent, du reste, très peu des autres habitations musulmanes et n'ont nullement le sombre aspect de nos monastères.

3. - La morale dans l'islamisme

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Les prescriptions morales du Coran sont excellentes. La charité, la bienfaisance, l'hospitalité, la modération dans les désirs, la fidélité à la parole donnée, l'amour du prochain, le respect des parents, la protection des veuves et des orphelins, et même, la recommandation plusieurs fois répétée de rendre le bien pour le mal, y sont ensei­gnés. La morale du Coran est à peu près identique, d'ailleurs, à celle de l'Évangile.

Mais l'étude de la morale qu'un livre enseigne n'a pas une importance bien grande. Il n'y a guère de religions dont les principes moraux ne soient excellents. Ce qu'il importe de connaitre quand on étudie un peuple, ce ne sont pas les vertus qu'on lui enseigne, mais bien celles qu'il pratique. L'observation démontre que la ressemblance existant entre les premières et les secondes est généralement très faible.

Dans le chapitre de notre précédent ouvrage consacré à l'étude du développement de la morale, nous avons essayé de montrer que parmi les divers facteurs qui déter­minent sa formation : l'utilité, le milieu, l'opinion, la sélection, les prescriptions légales, l'éducation, l'intelligence, etc., les religions ne jouaient généralement qu'un rôle secondaire. Nous y avons vu que dans les anciens cultes, il n'y avait pas de recommandations relatives à la morale. Ce n'est que dans les religions des Hindous et celles crées par Moïse, Jésus-Christ et Mahomet, que l'on trouve des prescriptions morales, mais ces religions ne firent qu'apporter à des principes déjà enseignés l'appui de leurs sanctions. Ces sanctions sont constituées uniquement par l'espoir d'une récompense et la crainte d'un chatiment dans une autre vie, mais la facilité d'obtenir le pardon des crimes enlève à la crainte du chatiment l'influence qu'elle pourrait avoir sur la majorité des hommes.

Il suffit, du reste, d'avoir un peu parcouru le monde, et étudié les hommes ailleurs que dans les livres, pour reconnaitre que la religion est tout à fait indépendante de la morale. S'il y avait parenté réelle entre elles, les peuples les plus religieux seraient les plus moraux ; et il s'en faut de beaucoup, en réalité, qu'il en soit ainsi. L'Espagne et la Russie m'ont paru être les pays de l'Europe où les pratiques religieuses sont le plus scrupuleusement observées, et je crois être d'accord avec les observateurs qui les ont étudiés avec soin, en assurant qu'il faut les ranger parmi ceux dont la moralité se trouve précisément au niveau le moins élevé.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 336

la figure # 213

Ancienne lampe arabe provenant de la mosquée de l'Alhambra.
Le modèle original à 2 m 15 de hauteur. (Musée Espagnol d'antiquités.)

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

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Ce n'est donc pas dans la religion d'un peuple qu'il faut chercher les causes de l'état de sa morale. Toutes les religions, je le répète, ont des principes de morale excellents, et s'ils étaient observés, l'age d'or régnerait sur la terre ; mais la façon dont ces principes sont suivis varie selon le milieu, l'époque, la race et des conditions fort diverses, et c'est pour cette raison qu'avec une même religion, des peuples divers possèdent le plus souvent une morale très différente.

Ce qui précède s'applique à toutes les religions possibles, y compris celle des mahométans. Les principes de la morale du Coran sont parfaits ; mais leur action a été bien différente, suivant les races, les milieux et les ages.

Pendant les premiers temps de l'islamisme, la moralité des Arabes fut plus élevée que celle de tous les autres peuples vivant alors, les chrétiens surtout. Leur justice, leur modération, leur bienveillance et leur tolérance à l'égard des peuples vaincus, le respect de leurs engagements, leur caractère chevaleresque, sont frappants et contras­tent étrangement avec la conduite des autres peuples, notamment avec celle des Européens, à l'époque des croisades.

Si nous attribuons à la religion l'influence qu'on lui accorde généralement, nous devrions dire que la morale du Coran fut supérieure à celle de l'Évangile, puisque les peuples qui pratiquaient l'islamisme avaient une moralité beaucoup plus élevée que celle des chrétiens. Mais ce que nous avons dit plus haut de l'indépendance de la religion et de la morale prouve à quel point serait erronée une conclusion semblable. La moralité des musulmans varia, comme celle des chrétiens, suivant les divers facteurs que nous avons énumérés plus haut. Très élevée à certaines époques, elle fut très inférieure à d'autres. La longue domination des Turcs, et leur régime politique a bien abaissé la moralité des Orientaux soumis à leur action. Dans un pays où le caprice d'un maitre et de ses subalternes est la seule loi, où chacun est en butte aux exactions de mille petits tyrans qui ne cherchent qu'à s'enrichir, où il n'y a aucune justice à espérer et où on n'obtient quelque chose qu'à force d'argent, la corruption devient bientôt générale, et il n'y a pas de moralité possible. La moralité actuelle des Orientaux soumis à la Turquie est donc forcément très abaissée ; mais le Coran est aussi étranger à cet abaissement, que l'Évangile est étranger à l'état d'abaissement identique où se trouvent les populations chrétiennes vivant sous le même régime.

Dans l’édition papier de 1980

apparait à la page 337

la figure # 214

Derviches tourneurs ; d'après un croquis.

téléchargeable sur le site web : Les Classiques des sciences sociales,
section Auteurs classiques : Gustave Le Bon (1841-1931) :
La civilisation des Arabes (1884).

Retour à la table des figures (ordre numérique sur le site web)

Ce qui précède montre suffisamment le peu de fondement de cette opinion si générale aujourd'hui en Europe, que c'est la religion de Mahomet qui a conduit cer­tains peuples orientaux au degré d'infériorité morale où ils sont maintenant. Une telle croyance est la conséquence de cette série d'erreurs : que le Coran a créé la polyga­mie, que le fatalisme prétendu qu'il enseigne conduit les hommes à l'inaction, et enfin que Mahomet n'exige de ses disciples que des pratiques faciles à observer. Le lecteur qui nous a suivi jusqu'ici voit immédiatement combien de telles propositions sont inexactes. Nous avons vu que la polygamie existait dans tout l'Orient bien des siècles avant Mahomet, que le Coran n'est pas plus fataliste qu'aucun autre livre religieux, et que si les Arabes sont fatalistes par caractère, ce fatalisme ne les a pas conduits à l'inaction, puisqu'ils ont fondé un gigantesque empire. Nous avons montré enfin que les prescriptions morales du Coran sont aussi élevées que celles des autres livres religieux. S'il était vrai d'ailleurs que c'est le Coran qui a dégradé les musulmans d'Orient, nous devrions constater, comme je le disais plus haut, que les Orientaux qui ne sont ni polygames, ni fatalistes, tels que les chrétiens de la Syrie, devraient avoir échappé à cette décadence. Or, je ne connais aucun auteur ayant étudié un peu l'Orient, qui ne soit obligé de confesser que ces derniers sont à un niveau moral bien inférieur encore à celui des mahométans.

Nous pourrions clore ce chapitre en disant que la morale du Coran est aussi élevée que celle d'aucune autre religion et que les peuples régis par lui ont présenté, comme ceux vivant sous la loi du Christ, un niveau de moralité très variable, suivant les temps et les races, et dépendant de facteurs parmi lesquels les prescriptions religieu­ses n'ont jamais été au premier rang.

Mais la conclusion la plus importante qu'on puisse dégager de tout ce qui le précède est l'influence véritablement immense exercée par le Coran sur les peuples soumis à sa loi. Bien peu de religions ont eu un pareil empire sur les ames, aucune peut-être n'en a exercé de plus durable. Le Coran est le véritable pivot de la vie en Orient, et nous retrouvons son influence dans les moindres actes de l'existence.

L'empire des Arabes ne vit plus que dans l'histoire, mais la religion qui fut mère de cet empire n'a pas cessé de s'étendre. Du fond de son tombeau, l'ombre du prophète règne en souveraine sur ces millions de croyants qui peuplent l'Afrique et l'Asie, du Maroc jusqu'à la Chine, de la Méditerranée à l'Équateur. L'homme est le jouet inconscient de bien des maitres ; mais les plus tyranniques, ceux qu'il passe sa vie à implorer et à craindre, pour lesquels il s'agite dans le sang et les larmes, et a livré les guerres les plus meurtrières et commis les crimes les plus terribles, ces maitres souverains sont des ombres fugitives habitant le monde des illusions et celui des rêves. Ombres légères, mais redoutables. Bien des conquérants ont dominé le monde et fait plier les hommes sous leur loi ; aucun n'a possédé une puissance égale à celle de certains morts.

Fin du livre IV : “ Mœurs et institutions des Arabes ”



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