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La sémantique est traditionnellement définie comme étude systématique des phénomÈnes de sens. Cependant, si le sens a constitué depuis l’Antiquité et à travers le Moyen Age jusqu’à l’époque moderne une préoccupation des philosophes, la sémantique n’acquiert un statut d’indépendance parmi les disciplines linguistiques qu’à partir de la fin du XIX-e siÈcle (Michel Bréal lui dédie dans les années 1880 un premier ouvrage). La pensée linguistique de l’époque était dominée par l’historisme; aussi n’est-il pas étonnant que la sémantique se donne alors pour but d’étudier l’évolution du sens des mots: c’était une sémantique diachronique.
Avec l’essor, au début du XX-e siÈcle, de la linguistique structurale, apparait la sémantique synchronique, ayant pour objet l’étude des contenus encodés dans les langues naturelles. Cette idée d’encodage nous ramÈne au fameux schéma du processus de communication linguistique inspiré de Roman Jakobson (v. page suivante; trad. fr. Essais de linguistique générale, Éditions de Minuit, 1963)
Le sens, objet de la sémantique, serait selon ce modÈle de représentation l’information communiquée par l’intermédiaire des moyens que toute langue fournit à ses usagers, à savoir des signes linguistiques.
La communication linguistique :
contexte linguistique et extralinguistique | ||
code langue naturelle | ||
ÉMETTEUR encodage = parcours onomasiologique (du contenu vers l’expression) |
MESSAGE |
RECEVEUR décodage = parcours sémasiologique (de l’expression vers le contenu) |
- point de départ référentiel + intention de communication qui est conceptualisée, |
canal (auditif, visuel) | |
- organisation mentale = représentation, | ||
- « mise en signes » à l’aide des moyens fournis par une langue naturelle = mise en discours. |
Les unités linguistiques douées de sens sont:
les mots (les lexÈmes, unités lexicales simples) |
niveau lexical |
les lexies (unités lexicales complexes) |
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les syntagmes (groupes de mots) |
niveau syntaxique, phrastique |
les phrases, les énoncés |
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les discours, les textes |
niveau transphrastique (discursif, textuel) |
Compte tenu des niveaux du parcours communicationnel représentés ci-dessus, on peut classer les sémantiques comme suit
(B. Pottier, 1992):
Ces quatre sémantiques sont complémentaires et coexistantes. S’y ajoutent les sémantiques « indépendantes » : la sémiotique textuelle, les sémiologies parallÈles (iconique, mimo-gestuelle, etc.), les sémantiques non-linguistiques (logique, mathématique).
Dans le présent ouvrage, nous nous occuperons des questions de sémantique structurale lexicale.
La linguistique structurale définit les langues naturelles comme des systÈmes de signes, appelés signes linguistiques. Il y a plusieurs modÈles de description du signe linguistique, dont deux nous semblent fondamentaux : le modÈle proposé par Ferdinand de Saussure et le modÈle du « triangle sémiotique ».
Pour Ferdinand de Saussure, le signe linguistique est la réunion d’un concept et d’une image acoustique. Le concept est le signifié du signe, l’image acoustique en est le signifiant. Qu’il nous soit permis de citer plus abondamment les pages de Saussure (1967, pp. 97 - 103), révélatrices pour la pensée d’un des pÈres fondateurs du structuralisme linguistique:
« Pour certaines personnes la langue, ramenée à son principe essentiel, est une nomenclature, c'est-à-dire une liste de termes correspondant à autant de choses.
Cette conception est critiquable à bien des égards. Elle suppose des idées toutes faites préexistant aux mots; elle ne nous dit pas si le nom est de nature vocale ou psychique, car (un nom comme) arbor peut Être considéré sous l'un ou l'autre aspect; enfin elle laisse supposer que le lien qui unit un nom à une chose est une opération toute simple, ce qui est bien loin d'Être vrai. Cependant cette vue simpliste peut nous rapprocher de la vérité, en nous montrant que l'unité linguistique est une chose double, faite du rapprochement de deux termes.
On a vu à propos du circuit de la parole, que les termes impliqués dans le signe linguistique sont tous deux psychiques et sont unis dans notre cerveau par le lien de l'association. Insistons sur ce point.
Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. Cette derniÈre n'est pas le son matériel, chose purement physique, mais l'empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens; elle est sensorielle, et s'il nous arrive de l'appeler « matérielle », c'est seulement dans ce sens et par opposition à l'autre terme de l'association, le concept, généralement plus abstrait.
Le caractÈre psychique de nos images acoustiques apparait bien quand nous observons notre propre langage. Sans remuer les lÈvres ni la langue, nous pouvons nous parler à nous-mÊme ou nous réciter mentalement une piÈce de vers. C'est parce que les mots de la langue sont pour nous des images acoustiques qu'il faut éviter de parler des « phonÈmes » dont ils sont composés. Ce terme, impliquant une idée d'action vocale, ne peut convenir qu'au mot parlé, à la réalisation de l'image intérieure dans le discours. En parlant des sons et des syllabes d'un mot, on évite ce malentendu, pourvu qu'on se souvienne qu'il s'agit de l'image acoustique.
Le signe linguistique est donc une entité psychique à deux faces:
CONCEPT et image acoustique
Ces deux éléments sont intimement unis et s'appellent l'un l'autre. Que nous cherchions de sens du mot latin arbor ou le mot par lequel le latin désigne le concept « arbre », il est clair que seuls les rapprochements consacrés par la langue nous apparaissent conformes à la réalité, et nous écartons n'importe quel autre qu'on pourrait imaginer.
Cette définition pose une importante question de terminologie. Nous appelons signe la combinaison du concept et de l'image acoustique: mais dans l'usage courant ce terme désigne généralement l'image acoustique seule, par exemple un mot (arbor, etc.). On oublie que si arbor est appelé signe, ce n'est qu'en tant qu'il porte le concept « arbre », de telle sorte que l'idée de la partie sensorielle implique celle du total.
L'ambiguÃté disparaitrait si l'on désignait les trois notions ici en présence par des noms qui s'appellent les uns les autres tout en s'opposant. Nous proposons de conserver le mot signe pour désigner le total, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant; ces derniers termes ont l'avantage de marquer l'opposition qui les sépare soit entre eux, soit du total dont ils font partie. Quant à signe, si nous nous en contentons, c'est que nous ne savons par quoi les remplacer, la langue usuelle n'en suggérant aucun autre.
Le signe linguistique ainsi défini possÈde deux caractÈres primordiaux. En les énonçant nous poserons les principes mÊmes de toute étude de cet ordre.
Premier principe: l'arbitraire du signe.
Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe le total résultant de l'association d'un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement: le signe linguistique est arbitraire.
Ainsi l'idée de « sœur » n'est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s - ö - r qui lui sert de signifiant; il pourrait Être aussi bien représenté par n'importe quel autre: à preuve les différences entre langues et l'existence mÊme de langues différentes: le signifié « bœuf » a pour signifiant b - ö - f d'un côté de la frontiÈre, et o - k - s (Ochs) de l'autre.
Le principe de l'arbitraire du signe n'est contesté par personne; mais il est souvent plus aisé de découvrir une vérité que de lui assigner la place qui lui revient. Le principe énoncé plus haut domine toute la linguistique de la langue; ses conséquences sont innombrables. Il est vrai qu'elles n'apparaissent pas toutes du premier coup avec une égale évidence; c'est aprÈs bien des détours qu'on les découvre, et avec elles l'importance primordiale du principe.
Une remarque en passant: quand la sémiologie sera organisée, elle devra se demander si les modes d'expression qui reposent sur des signes entiÈrement naturels - comme la pantomime - lui reviennent de droit. En supposant qu'elle les accueille, son principal objet n'en sera pas moins l'ensemble des systÈmes fondés sur l'arbitraire du signe. En effet tout moyen d'expression reçu dans une société repose en principe sur une habitude collective ou, ce qui revient au mÊme, sur la convention. Les signes de politesse, par exemple, doués souvent d'une expressivité naturelle (qu'on pense au Chinois qui salue son empereur en se prosternant neuf fois jusqu'à terre), n'en sont pas moins fixés par une rÈgle; c'est cette rÈgle qui oblige à les employer, non leur valeur intrinsÈque. On peut donc dire que les signes entiÈrement arbitraires réalisent mieux que les autres l'idéal du procédé sémiologique; c'est pourquoi la langue, le plus complexe et le plus répandu des systÈmes d'expression, est aussi le plus caractéristique de tous; en ce sens la linguistique peut devenir le patron général de toute sémiologie, bien que la langue ne soit qu'un systÈme particulier.
On s'est servi du mot symbole pour désigner le signe linguistique, ou plus exactement ce que nous appelons le signifiant. Il y a des inconvénients à l'admettre, justement à cause de notre premier principe. Le symbole a pour caractÈre de n'Être jamais tout à fait arbitraire; il n'est pas vide, il y a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifié. Le symbole de la justice, la balance, ne pourrait pas Être remplacé par n'importe quoi, un char, par exemple.
Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n'est pas au pouvoir de l'individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe linguistique); nous voulons dire qu'il est immotivé, c'est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n'a aucune attache naturelle dans la réalité.
Signalons en terminant deux objections qui pourraient Être faites à l'établissement de ce premier principe:
1° On pourrait s'appuyer sur les onomatopées pour dire que le choix du signifiant n'est pas toujours arbitraire. Mais elles ne sont jamais des éléments organiques d'un systÈme linguistique. Leur nombre est d'ailleurs bien moins grand qu'on ne le croit. Des mots comme fouet ou glas peuvent frapper certaines oreilles par une sonorité suggestive; mais pour voir qu'elles n'ont pas ce caractÈre dÈs l'origine, il suffit de remonter à leur formes latines (fouet dérivé de fägus « hÊtre », glas = classicum); la qualité de leurs sons actuels, ou plutôt celle qu'on leur attribue, c'est un résultat fortuit de l'évolution phonétique.
Quant aux onomatopées authentiques (celles du type glou-glou, tic-tac, etc.), non seulement elles sont peu nombreuses, mais leur choix est déjà en quelque mesure arbitraire, puisqu'elles ne sont que l'imitation approximative et déjà à demi conventionnelle de certains bruits (comparez le français ouaoua et l'allemand wauwau). En outre, une fois introduites dans la langue, elles sont plus ou moins entrainées dans l'évolution phonétique, morphologique, etc. que subissent les autres mots (cf. pigeon, du latin vulgaire pipiö, dérivé lui-mÊme d'une onomatopée): preuve évidente qu'elles ont perdu quelque chose de leur caractÈre premier pour revÊtir celui du signe linguistique en général, qui est immotivé.
2° Les exclamations, trÈs voisines des onomatopées, donnent lieu à des remarques analogues et ne sont pas plus dangereuses pour notre thÈse. On est tenté d'y voir des expressions spontanées de la réalité, dictées pour ainsi dire par la nature. Mais pour la plupart d'entre elles, on peut nier qu'il y ait un lien nécessaire entre le signifié et le signifiant. Il suffit de comparer deux langues à cet égard pour voir combien ces expressions varient de l'une à l'autre (par exemple au français aÃe! correspond l'allemand au!). On sait d'ailleurs que beaucoup d'exclamations ont commencé par Être des mots à sens déterminé (cf. diable! mordieu! = mort Dieu, etc.).
En résumé, les onomatopées et les exclamations sont d'importance secondaire, et leur origine symbolique en partie contestable.
Second principe; caractÈre linéaire du signifiant.
Le signifiant, étant de nature auditive, se déroule dans le temps seul et a les caractÈres qu'il emprunte au temps: a) il représente une étendue, et b) cette étendue est mesurable dans une seule dimension: c'est une ligne.
Ce principe est évident, mais il semble qu'on ait toujours négligé de l'énoncer, sans doute parce qu'on l'a trouvé trop simple; cependant il est fondamental et les conséquences en sont incalculables; son importance est égale à celle de la premiÈre loi. Tout le mécanisme de la langue en dépend. Par opposition aux signifiants visuels (signaux maritimes, etc.), qui peuvent offrir des complications simultanées sur plusieurs dimensions, les signifiants acoustiques ne disposent que de la ligne du temps; leurs éléments se présentent l'un aprÈs l'autre; ils forment une chaine. Ce caractÈre apparait immédiatement dÈs qu'on les représente par l'écriture et qu'on substitue la ligne spatiale des signes graphiques à la succession dans le temps. »
xxx
L’ensemble des signifiants de tous les signes d’une langue naturelle forme le plan de l’expression de cette langue.
L’ensemble des signifiés de tous les signes d’une langue naturelle forme le plan du contenu de cette langue. Les deux plans ont une structure isomorphe.
Selon les tenants de l’approche « sémiotique » du signe linguistique, qui enrichit le modÈle saussurien (il s’agit surtout des représentants de l’école américaine, dont le philosophe Ch.S. Peirce, les psycholinguistes Ogden et Richards, le logicien Ch. Morris), le signe est le résultat de l’utilisation par un locuteur d’une unité linguistique (Symbole) douée de sens (Référence) afin de référer à quelque chose d’autre que soi-mÊme (Référent, Objet). La représentation schématique de ce modÈle est connue sous le nom de triangle d’Ogden et Richards ou triangle sémiotique:
Signifié | ||
| ||
Signifiant |
Référent |
La relation entre Symbole (la forme linguistique) et Référent n’est pas immédiate; elle s’instaure par l’intermédiaire de la Référence.
Des linguistes allemands (Klaus Heger, Kurt Baldinger) ont proposé de remplacer le triangle sémiotique par une figure plus complexe, un trapÈze sémiotique à quatre composantes oÙ figure le concept, en plus du signifiant, du signifié et du référent. Ce concept ou représentation est ce qui, tout en relevant du logique, du psychologique et du cognitif, ne s'identifie pas au signifié. Voici le trapÈze sémiotique:
|
sens |
représentations |
||
forme |
référent |
Dans le trapÈze, dont les côtés représentent des relations entre les entités situées aux quatre angles, la partie gauche relÈve du langage (forme et sens = expression et contenu, signifiant et signifié); le secteur supérieur de la partie droite relÈve du psychologique non langagier; le secteur inférieur de la partie droite relÈve de la réalité extérieure.
Dans l’acception saussurienne, le sens pourrait Être identifié au signifié, unité du plan du contenu d’une langue naturelle.
Si l’on considÈre le signe linguistique comme une entité triplane, alors le sens serait la propriété de l’unité linguistique à référer à un objet autre que soi-mÊme.
Il faut cependant prendre en considérations d’autres hypothÈses quant à la nature du sens. En effet, si la langue est envisagée essentiellement comme un instrument de communication, alors le sens est justement
- la communication d’une information sur un état du monde, sur la réalité
ou
- la communication d’une information sur un état du monde, modalisée par une attitude du locuteur.
Le sens constitue un moyen d'accÈs au référent, mÊme s'il n'est pas que cela. Toutefois pour désigner un référent actuel, pour permettre à l'auditeur de l'identifier, le sens du mot ou mÊme du groupe de mots ne suffit pas toujours. Il faut aussi tenir compte de l'emploi. Citons C. Touratier (2000): « Soit la question: « Connaissez-vous cette ville? » Le sens du mot ville, tel qu'il est connu par les usagers du français, leur permet bien de comprendre la question, mÊme si elle est détachée de son contexte, mais non à lui seul d'y répondre. Leur compréhension reste dans ce cas incomplÈte. Pour répondre, il faut qu'ils sachent de quelle ville particuliÈre il s'agit, et le démonstratif cette fait justement allusion soit au contexte, par exemple à un nom de ville qu'on vient de citer (Paris, Londres, etc.), soit à la situation, à la ville oÙ les interlocuteurs se trouvent.
Il y aurait donc deux niveaux du sens: d'une part le sens en langue, sur lequel les usagers ont un savoir relativement stable et que les dictionnaires tentent de décrire à l'aide de définitions, d'autre part le sens en emploi - d'autres préfÈrent effets de sens, sens en discours, sens actuel, sens textuel, sens contextuel, de mÊme qu'on peut dire, au lieu de sens en langue, sens potentiel, etc. Cependant, comme l'exemple ci-dessus le montre, la distinction, qui vaut pour les noms communs, ne vaut pas pour les noms propres, lesquels n'ont, en principe, qu'une seule possibilité de référence. Quand il s'agit de noms propres, il n'y a pas lieu d'opposer référence virtuelle et référence actuelle, puisqu'elles s'identifient ».
Le référent est “l’objet” concret ou abstrait auquel le mot réfÈre. Il s’oppose en cela au sens ou signifié, vu comme réalité psychologique, comme moyen d’accÈs au référent.
La référence est l'opération qui consiste à faire correspondre au mot un référent. Citons C. Touratier (2000):
« On doit faire attention à ne pas confondre sens et référent. Le sens du mot chat, par exemple, est une réalité psychologique, à bien distinguer de la réalité extérieure à l'esprit qu'est un chat. Nous pouvons dire que nous avons à faire à trois sortes de réalités:
- la forme du mot (son signifiant, son expression);
- son sens (son signifié, son contenu);
- son référent, qui ne fait pas partie du mot ».
On peut cependant établir une distinction entre Référent et Objet aussi. Selon A. Magureanu (1981): « Le signe peut renvoyer à:
- une entité ou une classe d’entités concrÈtes du monde réel: école, chien, froid, écrire renvoient à des entités dont l’existence peut Être perçue par les sens.
- une entité ou une classe d’entités abstraites: qualités, actions, événements, dont l’existence est perçue par l’expérience: bonté curiosité, angoisse renvoient à des sentiments, des propriétés perçus à travers l’expérience commune.
- une entité concrÈte ou abstraite n’existant pas dans le monde réel, mais à laquelle on peut référer de la mÊme façon que dans le cas des objets réels »
Ainsi par exemple, licorne, sirÈne, le cheval Pégase, cyclope etc. sont des signes qui n’ont pas de référent, qui ne renvoient à aucun objet réel. Il en est de mÊme des personnages littéraires, qui, bien que ne renvoyant pas à des personnes qui existent dans le monde réel, ont des référents qui sont reconnus par tous les sujets parlants possédant un certain savoir culturel. Citons à ce propos C. Baylon (1995): « Puisque l'imagination des individus, ainsi que ce qui s'y trouve, fait d'une certaine façon partie de la réalité - l'imagination et son contenu se trouvent dans leur cerveau, dans leur esprit - les référents fictifs ont une existence, mÊme si elle est différente de celle des référents perceptibles tels qu'un cheval concret ou un objet matériel. Dans leurs emplois littéraires, les mots du langage comportent trÈs souvent ce genre de référent.
Il y a d'autres emplois sans référent. Quant on évoque un cavalier qui monte uniquement des chevaux appartenant à autrui parce que ses moyens ne lui permettent pas d'en avoir un en propre, on peut dire: 'Il ne possÈde pas de cheval'. Dans ce cas, cheval est dépourvu de référent: la tournure négative consiste justement à dénier au cavalier la possession d'un cheval. Par conséquent, selon les cas, un mÊme mot peut évoquer un référent ou ne pas en évoquer. Tout dépend de l'emploi qui en est fait. »
Il en résulte que toute langue naturelle, en tant que systÈme de signes, n’a pas seulement pour fonction de « nommer » les objets existant dans le monde réel, mais elle crée aussi des mondes possibles, en construisant des objets qui, bien qu’imaginaires, peuvent Être décrits, reconnus, à propos desquels on peut « dire des choses ». L’objet du signe linguistique est un objet construit par les locuteurs, résultat d’une certaine expérience du monde: le RÉFÉRENT est le produit d’une construction culturelle.
Le mÊme objet existant dans le monde réel peut Être « reconstruit » différemment, en tant que référent, dans des langues naturelles différentes. C’est ce que veut dire Ch. Trier lorsqu’il affirme que « chaque langue est un systÈme qui opÈre une sélection au travers et aux dépens de la réalité objective. Chaque langue crée une image de la réalité, complÈte, qui se suffit à elle-mÊme. Chaque langue structure la réalité à sa propre façon et, par là mÊme, établit les éléments de la réalité qui sont particuliers à cette langue donnée ».
L’existence, dans des langues différentes, de référents différents pour les mÊmes objets du monde réel rend compte de la vision du monde propre à des communautés linguistiques / des peuples différents. Ainsi par exemple, bœuf en français et bou en roumain renvoient à la mÊme classe d’animaux réels, « mammifÈre artiodactyle ruminant domestique ». Mais dans une phrase usuelle comme Il ne mange que du bœuf, il hait le porc, le référent du mot français bœuf correspond à celui du mot roumain vaca = viande de bœuf ou de vache que l’on mange. De mÊme, dans les expressions travailler comme un bœuf = travailler beaucoup et sans manifester de fatigue ou avoir un succÈs bœuf = un succÈs trÈs grand et étonnant, le référent de boeuf diffÈre par ses propriétés du référent de bou.
L’ensemble des référents des signes d’une langue naturelle forme l’univers sémantique de la langue en question, illustrant les différents domaines d’expérience humaine.
N.B. Les domaines d’expérience correspondent aux divers domaines de la pratique sociale des membres d’une communauté linguistique donnée. Les signes linguistiques peuvent Être regroupés selon les domaines d’expériences auxquels ils sont susceptibles d’appartenir. Ceci a pour conséquent le fait qu’un mÊme signe trouve sa place dans plusieurs ensembles de signes (plusieurs paradigmes), selon le domaine d’expérience pris en considération.
ex. « canard » appartient aux paradigmes:
zoologie (oiseaux): mouette, hirondelle, autruche etc.
ferme (volailles): poule, dindon, pintade etc.
cuisine: poulet, dinde, caille, etc.
musique: son, couac etc.
médias: rumeur, bobard, etc.
Les mots de nature à comporter un référent sont appelés référentiels ou pleins: tel est le cas des substantifs, (mÊme ceux qui ne réfÈrent pas à des Êtres ou à des objets réels), des verbes, des adjectifs qualificatifs, des adverbes. Par contre, les mots grammaticaux ou vides – prépositions, conjonctions - sont le plus souvent non référentiels dans tous ou une partie de leur emplois..
Jean-Claude Milner propose, pour les substantifs, la notion de référence virtuelle ou potentielle, qui serait l'aptitude à avoir des référents, notion opposée à celle de référence actuelle - l'évocation effective d'un ou de plusieurs référents. Ainsi par exemple, le mot chat permet de référer à n'importe quel chat du monde: c'est la référence virtuelle. Quand on l'emploie effectivement, dans le discours, chat réfÈre à tel chat, à tels chats ou bien à tous les membres de l’espÈce des chats: c'est la référence actuelle. Celle-ci varie selon les emplois. Robert Martin, remplace le terme de référence virtuelle par celui d’extensité et le terme de référence actuelle par ceux d’extension ou de détermination. Définir un ensemble en extension c’est le relier aux « entités » (Êtres, objets) dont la réunion le constitue. Au contraire, le définir en intension (ou compréhension) c’est insérer entre l'ensemble et ses éléments constitutifs des propriétés permettant de savoir si un élément quelconque, selon qu'il les possÈde ou non, lui appartient. L' intension permet de distinguer les éléments faisant partie de l'ensemble défini et les autres, qui font partie d’ensembles « complémentaires». De la mÊme façon, le sens d'un mot donne accÈs aux référents que le mot est susceptible de désigner, par opposition à tous les autres.
Les unités linguistiques peuvent se servir de référents à elles-mÊmes. C’est le cas des grammaires d’une langue, écrites dans cette langue mÊme (une grammaire du français écrite en français). Un tel emploi est dit métalinguistique. On appelle métalangue ou métalangage l'ensemble des mots qui, tout en faisant partie d'une langue naturelle, prennent comme référent cette langue elle-mÊme.
La signification peut Être envisagée comme un niveau particulier du sens. C’est la propriété des unités linguistiques à Être utilisées par les locuteurs afin de communiquer entre eux. La signification caractérise surtout les énoncés utilisés dans le discours, dans différents contextes de communication. Elle fait l’objet de la sémantique du discours plutôt que de la sémantique lexicale.
Certains linguistes utilisent sens tout court pour le sens en langue et signification pour le sens en emploi. D'autres font exactement l'inverse. Puisque l'accord ne s'est pas réalisé sur ces mots de sens et signification, nous pouvons utiliser les expressions énumérées plus haut.
SENS |
SIGNIFICATION |
1. Ce que veut dire un mot, un énoncé. |
(mÊme chose) |
2. Ce que veut dire un mot, un énoncé sans les précisions liées à l'emploi. |
Ce que veut dire un mot, un énoncé avec les précisions liées à l'emploi. |
3. Ce que veut dire un mot, un énoncé avec les précisions liées à l'emploi. |
Ce que veut dire un mot, un énoncé sans les précisions liées à l'emploi. |
4. (=1.) Ce que veut dire un mot, un énoncé |
Ensemble des opérations par lesquelles le sens est obtenu, production de sens. |
Il y aurait donc deux niveaux du sens:
- le sens en langue (que les dictionnaires tentent de décrire à l’aide de définitions)
- le sens en discours (en emploi, en contexte).
La dénotation d’un signe linguistique est tout ce qui, dans le sens de ce signe, est propriété objective du référent. C’est la classe d’objets que le signe évoque. Ainsi par exemple, la dénotation de chaise est la classe des chaises existantes, ayant existé ou possibles, caractérisée par des propriétés énumérables. C’est le sens central, objectif, littéral du mot.
La connotation d’un signe linguistique est tout ce qui, dans le sens de ce signe, n’est pas propriété objective du référent. C’est le sens périphérique, subjectif, additionnel du mot. Ainsi par exemple, le mot bagnole dénote la mÊme classe d’objets que le mot voiture, mais il connote en plus un certain registre de langue, le registre familier.
Ainsi donc, en plus de leur sens dénotatif, les mots comportent des connotations. Ces connotations évoquent surtout:
- des jugements de valeur portés sur le référent (Boche pour Allemand a une connotation raciste et marque le mépris de celui qui utilise ce mot envers le groupe ethnique en question).
- l’appartenance du mot aux divers registres de langue (donc un jugement porté sur le mot lui-mÊme). Par exemple, le mot cheval appartenant à la langue courante a pour équivalent en français familier canasson, dans le langage des enfants dada, en français soigné coursier.
Dans le dernier cas, le jugement ne porte plus sur le référent, mais sur le mot lui-mÊme, qu'une décision collective, admise inconsciemment par tous les locuteurs, affecte à un niveau particulier. Mais la majorité des mots appartiennent à la langue commune, qui transcend les divers registres, au vocabulaire général, en principe maitrisé par tous les usagers d'une langue et qui assure la possibilité de compréhension mutuelle.
Si le sens connotatif ajoute des informations supplémentaires, de nature surtout subjective, aux informations portées par le sens dénotatif d’un mÊme mot, le sens figuré implique “un changement de sens” du mot, plus précisément, un changement de référent. Ainsi par exemple les dents d’une scie (métaphore), boire un verre de vin (métonymie), apercevoir une voile à l’horizon (synecdoque). Nous retrouverons une description des « figures de sens » ou tropes au chapitre VI de cet ouvrage.
À part le sens littéral, directement rattaché au signe linguistique, le langage comporte non seulement du sens figuré, mais aussi du sens implicite.
L'un des exemples souvent cités afin d’illustrer cet aspect du sens (cf. C. Baylon 1995) est celui d'une phrase comme « Avez-vous Le Monde? » dite chez un marchand de journaux. Elle évoque simultanément divers référents: d'abord, grace au nom propre, un journal du soir bien connu, plus exactement un exemplaire de ce journal, ensuite, grace au verbe avoir, la possession d'un tel exemplaire par un commerçant à qui réfÈrent à la fois le pronom vous et la désinence verbale -ez. L'inversion du sujet et du verbe est un procédé qui en français a comme signifié une interrogation qui appelle une réponse par « Oui » ou « Non ». Cependant la signification globale de la phrase est tout autre: c’est une demande de faire (= de vendre), une requÊte. Le vendeur conserve la possibilité de répondre « Non », s'il ne possÈde pas d'exemplaire du journal, ou « Oui » s'il en a, mais dans ce dernier cas la réponse « Oui » doit s'accompagner de l'acte de vente. Le client serait déconcerté d'entendre un « Oui » non suivi d'effet. D’autre part, la phrase exprimant explicitement la requÊte, par exemple « Vendez-moi Le Monde », paraitrait déplacée. La phrase à sens implicite est une phrase – type dont on se sert dans une situation bien déterminées afin d’obtenir un effet attendu.
Le sens des unités linguistiques dans leur emploi effectif (dans le discours) est le résultat d'opérations psychologiques, d'un travail mental de construction du sens ou de production du sens. L’activité langagiÈre est fondamentalement dialogique: elle suppose une collaboration entre les participants à l'échange langagier – énonceur (émetteur, destinateur, locuteur) et receveur (récepteur, destinataire, allocutaire). Il faut donc prendre en compte cette interaction.
Chez l'énonceur, la production ne s'opÈre pas de la mÊme façon que chez le receveur. L'énonceur élabore un énoncé, une séquence de signes sonores ou graphiques, à partir d'intentions signifiantes (ou « intentions de communication »). Le receveur procÈde de maniÈre inverse: il perçoit des sons ou des lettres, ce qui lui permet d'identifier des signes, à partir desquels il tente de reconstituer l’intention de communication de l'énonceur, donc à « interpréter » le sens de l’énoncé.
« Il faut par conséquent distinguer un sens pour l'énonceur et un sens pour le receveur. Ces deux sens peuvent trÈs bien ne pas Être identiques, mÊme s'il existe des moyens pour éviter que l'écart ne soit trop grand.
Le sens d'un énoncé ne se réduit pas à un donné préalable, existant une fois pour toutes. MÊme quand il s'agit d'expressions toutes faites, il n'est pas pleinement constitué avant le discours, ou la conversation, c'est-à-dire avant l'emploi, toujours différent, car le contexte et la situation ne sont jamais tout à fait les mÊmes » (Touratier, 2000).
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