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Depuis ses origines, la lexicographie – attestée pour la premiÈre fois en tant que « science » des dictionnaires dans le Larousse de 1886 - a étudié le contenu des unités linguistiques.
Les plus anciens ouvrages de ce genre étaient des recueils de mots, des glossaires, expliquant seulement les mots vieillis ou peu connus; l'article de glossaire, la glose, donnait des mot examinés des synonymes plus connus, auxquels l'auteur ajoutait ou non quelques éclaircissements complémentaires. L’objet de la lexicographie moderne est par contre de décrire à la faveur des mots (ou entrées lexicographiques) la composante sémantique du langage, ainsi que ses aspects stylistiques. Les lexicographes étudient les unités lexicales une à une, dans un ordre alphabétique, en donnant leurs datations, leurs définitions motivées, des exemples contextuels, éventuellement des illustrations.
Les dictionnaires peuvent Être regroupés dans les classes suivantes:
dictionnaires monolingues / bilingues / multilingues;
dictionnaires de langue (tel le Lexis) / dictionnaires encyclopédiques (tel le Larousse);
dictionnaires de langue généraux / spécialisés (dictionnaires de synonymes, de locutions, etc.) / correctifs (dictionnaires de fautes, de difficultés);
dictionnaires de spécialité (= terminologies des différents domaines scientifiques, techniques, etc.)
Aucun des mots courants ne doit Être absent d'un dictionnaire « général ». De ce point de vue, le dictionnaire est un ouvrage conventionnel qui représente la somme des mots en usage à une époque donnée, enregistrant toutes les unités employées par les membres d’une communauté linguistique d’un niveau moyen de culture.
Les inventaires lexicaux d’un dictionnaire comprennent deux sortes de mots: les mots grammaticaux et fonctionnels (sémantiquement « vides ») et les mots lexicaux (sémantiquement « pleins »). Naturellement, ce sont ces derniers qui bénéficient d’une description de leurs sens, notamment à l’aide des définitions.
Pour mieux renseigner sur le sens des mots, les définitions sont parfois accompagnées d’illustrations, dessins, photo ou graphiques, et le plus souvent d’exemples. Si l'utilité pratique des illustrations n’est pas contestable, elles constituent une représentation du référent, mais jamais directement du sens. Les exemples ont un rôle subordonné, étant censés compléter les définitions.
Tous les dictionnaires ont toujours cherché à respecter, le plus possible, une rigueur logique de rédaction et de présentation des articles. Cette exigence générale de rigueur logique est concrétisée par quatre principes rédactionnels:
- principe de formalité;
- principe de cohérence;
- principe d'uniformité;
- principe d'exhaustivité.
a. Le principe de formalité: toute description dans un dictionnaire est strictement formelle.
Comme principe rédactionnel, «la description formelle» se manifeste par les deux caractéristiques suivantes:
1.- Toute description lexicographique est effectuée dans un métalangage formel préétabli. Il s'agit du métalangage lexicographique: indications morphologiques, marques d'usage, présentation de la prononciation, etc. Le principe de formalité suppose un métalangage suffisamment expressif pour la description sémantique (la définition), pour la description syntaxique (le régime) ainsi que pour la description cooccurrentielle (les fonctions lexicales) - exigences qui permettent au lexicographe de décrire de façon formelle tous les phénomÈnes observés.
2.- Toute description lexicographique est explicite. Ainsi, un bon dictionnaire ne peut se limiter à définir ACTE comme « ce qui est fait par une personne », puisque cette définition ne distingue pas entre:
acte volontaire, instinctif: action, manifestation humaine, geste, mouvement;
acte médical: consultation, visite, intervention;
manifestation de volonté ayant des conséquences juridiques: acte à titre gratuit, acte constitutif, acte de gestion, acte de gouvernement, etc.;
piÈce écrite qui constate, enregistre: acte administratif, acte authentique, acte d'état civil, etc.;
- recueil des comptes rendus, procÈs-verbaux et décisions de certaines séances d'une assemblée délibérante (actes des conciles), recueil des mémoires et communications présentés aux assemblées savantes (acte d'un congrÈs, colloque, réunion) ou collection de documents de caractÈre historique (actes des martyrs, actes de la Commune);
chacune des divisions principales d'une piÈce de théatre (une tragédie en quatre actes).
Tous ces renseignements seront présentés d'une maniÈre spécifique (par rapport au type de dictionnaire - général, explicatif, de spécialité, terminologique, etc.) et dans un métalangage lexicographique spécial qui est en mÊme temps formel et explicite.
b. Le principe de cohérence interne: les descriptions sémantique, syntaxique et cooccurrentielle du mot « vedette » doivent exprimer un accord complet.
La rigueur logique appliquée à un article de dictionnaire entraine la nécessité d'une cohérence interne, d'une correspondance réciproque entre les composants sémantiques dans la définition d'une unité lexicale, les précisions d’ordre syntaxique cooccurrencielle.
Ainsi CÉLIBATAIRE peut Être défini comme « personne en age d'Être mariée qui n'a jamais été mariée ». Cette définition serait tout à fait acceptable. Cependant, elle ne tient nul compte des deux cooccurrents lexicaux usuels: vieux et endurci.
Le premier problÈme d'une telle définition est que ces adjectifs ne s'appliquent normalement qu'aux hommes et cette particularité n'est pourtant pas incluse dans la définition.
Le second problÈme de la définition considérée est que, l'adjectif endurci étant perçu comme un intensificateur, la définition citée ne contient pas de composante qui puisse accepter cette intensification.
Selon le principe de la cohérence, l'article CÉLIBATAIRE devra obligatoirement refléter les deux faits mentionnés; vieux célibataire / célibataire endurci ne s'applique qu'aux hommes; endurci est un intensificateur. Il faut donc consigner les adjectifs en question dans l'article de dictionnaire CÉLIBATAIRE, en mentionnant les restrictions correspondantes: vieux célibataire (l'adjectif toujours antéposé) / célibataire endurci (l'adjectif postposé).
Le traitement simultané et comparatif des données sémantiques, syntaxiques et cooccurrencielles aboutit à quelques conclusions:
- parfois il faut changer la définition de départ, en l'adaptant à la syntaxe et à la cooccurrence observées;
d'autres fois, on décide de la description des cooccurrences particuliÈres par des fonctions lexicales particuliÈres (il en est ainsi pour vieux et endurci dans l'article CÉLIBATAIRE);
- de nombreux autres cas, souvent trÈs complexes (par exemple, le problÈme de cohérence entre la définition du mot «vedette» et l'inventaire de ses actants syntaxiques) imposent des recherches plus approfondies.
Pour résumer le contenu du principe de cohérence, nous pouvons affirmer qu'un article de dictionnaire devient cohérent dans la mesure oÙ le sémantisme, la syntaxe et la cooccurrence lexicale sont bien mis en correspondance.
c. Le principe de traitement uniforme: dans un dictionnaire, les descriptions des mots sémantiquement liés sont réalisées de la mÊme façon. Ainsi, les articles de dictionnaire des mots d'un mÊme champ sémantique doivent montrer un accord aussi complet que possible.
Ce principe ne semble pas toujours observé dans les dictionnaires traditionnels. Citons à titre d'exemple le traitement des noms ethniques. Dans les dictionnaires courants, un FRANÇAIS est défini comme une 'personne de nationalité française' (Hachette) - ce qui est inexact: un Français est quand mÊme une personne de nationalité française de sexe masculin - ou il n'a pas de définition; un CHINOIS n'a pas de définition, mais est considéré comme un sens à part; un ALLEMAND n'a ni définition ni sens à part; un ESPAGNOL est traité avec l'indication du féminin possible (Le Petit Larousse). Il semble qu'on ne trouve pas deux noms ethniques ayant une structure de description identique. Le principe de traitement uniforme exige que tous les noms ethniques soient décrits de la mÊme façon. Ainsi, ils pourraient Être décrits au pluriel (par leur nature, les caractéristiques ethniques ne sont attribuées qu'à des collectivités) et par rapport au lieu géographique et à la langue maternelle spécifiques, ce qui donnerait:
les FRANÇAIS = ethnie originaire de la France dont la langue maternelle est le français;
les CHINOIS = ethnie originaire de la Chine dont la langue maternelle est le chinois;
les ALLEMANDS = ethnie originaire de l'Allemagne dont la langue maternelle est l'allemand, etc.
Cette présentation ne couvre cependant pas certaines composantes ou cas particuliers:
- il reste à définir les concepts « ethnie » et « langue maternelle »;
- la définition ne couvre pas le cas des États multinationaux (les Belges, les Suisses, les Canadiens, etc.);
- elle n'inclut pas le cas des ethnies pour lesquelles il est impossible de spécifier un seul pays d'origine (les Peuls, les BerbÈres, etc.);
- elle laisse de côté certaines populations pour lesquelles il est difficile de déterminer l'ethnie (les Alsaciens, les Corses, etc.);
- elle ne prévoit pas les cas non prototypiques (un Français né en Chine et qui ne parle pas français).
Les exigences du principe de traitement uniforme ne doivent pas Être interprétées comme une obligation absolue de décrire tous les mots d'un mÊme champ sémantique strictement de la mÊme façon. Ainsi, le nom SUISSES ne peut pas Être défini comme « ethnie originaire de la Suisse ». Une définition plus adéquate dans ce cas est: SUISSE(S) = originaire(s) de la Suisse. Dans le mÊme ordre d'idées, le nom BERBÈRES doit Être défini comme « ethnie dont la langue maternelle est le berbÈre » (sans spécification du pays d'origine), etc.
d. Le principe d'exhaustivité: l'article « vedette » inclut tous les renseignements lexicographiques nécessaires, d'une part, pour bien utiliser le lexÈme lui-mÊme, et d'autre part, pour pouvoir trouver d'autres syntagmes sémantiquement liés.
Ce principe concerne la microstructure du dictionnaire, la présentation de la totalité des informations lexicographiques pour chaque unité lexicale, y compris les références à toutes les unités lexicales apparentées (références faites de façon directe ou à travers d'autres lexÈmes).
Avant tout, le principe d'exhaustivité vise la « vedette » (l'unité lexicale décrite par un article de dictionnaire) ou ce qu'on appelle dans la littérature de spécialité « entrée ». Chaque article de dictionnaire contient trois zones majeures:
- la zone phonologique (le signifiant de l'unité lexicale) oÙ le dictionnaire spécifie la forme phonologique du signifiant de l'entrée, des remarques sur les problÈmes d'orthoépie et d'orthographe, des données prosodiques.
- la zone sémantique (le signifié de l'unité lexicale) qui comprend deux sous-zones: la définition lexicographique de l’entrée et ses connotations, division reflétant la présence des deux types de traits sémantiques – dénotatifs et connotatifs.
- la zone de combinatoire de l'unité lexicale, qui se divise en quatre sous-zones:
1) la sous-zone de combinatoire morphologique (partie du discours, types de déclinaison / conjugaison, formes non réalisables, formes irréguliÈres, etc. );
2) la sous-zone de combinatoire stylistique (marques d'usage telles littéraire, familier, archaÃque, etc. qui indiquent le type de contexte textuel dans lequel l'unité lexicale peut s'insérer);
3) la sous-zone de combinatoire syntaxique (classes et sous-classes syntaxiques, constructions types, régime, etc.);
4) la sous-zone de combinatoire restreinte - la présentation des fonctions lexicales (l'ensemble des possibilités dans le mÊme « paradigme » sémantique ).
À ces quatre zones majeures, qui reflÈtent directement la nature sémiotique de l'unité lexicale en tant que signe linguistique, s'ajoutent deux zones auxiliaires, importantes du point de vue lexicographique:
- la zone d'illustrations n'enregistre que des phrases entiÈres, démontrant les emplois standard de l’entrée. Les exemples peuvent aider à prévenir les fautes et fournir implicitement des informations complémentaires. Ils doivent Être absolument idiomatiques (= spécifiques à la langue décrite), courants et naturels, clairs, ni trop simples, ni trop compliqués, etc. Ils doivent présenter de façon aussi précise que possible tous les aspects de la syntaxe et de la cooccurrence lexicale restreinte de l’entrée.
- la zone phraséologique concerne la cooccurrence et la combinatoire « fixe » (figée) de l’entrée et se propose de répertorier toutes les expressions oÙ figure celle-ci (collocations et locutions idiomatiques de toute sorte).
Un article de dictionnaire est donc structuré en fonction de ces zones, mais il faut observer que, dans cette structure, il n'y a pas de frontiÈres nettes entre les zones et sous-zones signalées; les renseignements (phonologiques, sémantiques, syntaxiques, phraséologiques, etc.) s'entrecroisent, parfois sont complémentaires ou en opposition, d'autres fois ils découlent les uns des autres.
En guise d’illustration, nous présentons l’article EFFICACE tel qu’il est traité par Le Petit Robert:
EFFICACE (efikas) adj. (déb. XIIIe; lat. efficax). 1. Qui produit l’effet qu’on en attend. (V. Actif, puissant, bon, souverain, sÛr). « Telle eau est efficace pour les dermathoses » (ROMAINS). « Je crois l’insinuation plus efficace » (GIDE). |
indications orthoépiques et morphologiques; premiÈre attestation,etymologie; premier sens: définition; possibles synonymes; illustrations; |
Théol. grace efficace, qui fournit la réalisation mÊme du bien (alors que la grace suffisante ne fournit que la possibilité de faire le bien). Électr. Se dit de la valeur moyenne de la tension, de l’intensité d’un courant alternatif comparable à celle d’un courant continu. |
emplois particuliers dans des domaines spécialisés (théologie, électricité); définitions + explications; |
2. (Personnes). Dont la volonté, l’activité sont efficaces (V. Efficient, valable). «D’efficaces défenseurs de la religion» (GUIZOT). «Une classe dirigeante et efficace » (MALRAUX). |
deuxiÈme sens: restriction sur le nom déterminé, définition; possibles synonymes; illustrations |
ANT. Inefficace. Inopérant. |
antonymes |
La définition lexicographique est avant tout une représentation sémantique de l’unité lexicale (du mot) à traiter. Pour ce faire, le lexicographe se sert d’autres unités lexicales, d’autres mots: on éclaire le sens du mot à définir grace au sens d'autres mots; ces derniers sont à leur tour définis, à l'aide d'autres mots encore. Ce procédé est inévitablement circulaire, répondant à un principe de récursivité: pour définir certains mots, il faut qu'ils aient eux-mÊmes servi à définir. Cette circularité peut Être lointaine ou immédiate: tel le cas des synonymes qui sont définis l’un par l’autre).
Les définitions portent à la fois sur le sens et sur le référent; souvent d’ailleurs, notamment dans les dictionnaires encyclopédiques, on accorde la priorité au référent, plus facile à décrire que le sens. Les noms propres représentent un cas extrÊme, étant définis par le seul référent. C’est la raison pour laquelle certains dictionnaires leur réservent une section ou un volume à part (v. le Robert).
La théorie des définitions distingue plusieurs types de définitions référentielles:
1. les définitions en extension, qui visent les référents essentiellement par deux procédés: montrer un membre de la classe – par exemple sous forme d'illustration, comme le fait parfois le Larousse - ou en énumérer tous les membres, ce qui n’est possible que lorsque les référents sont en nombre limité. Dans le cas contraire, on donne un échantillon (membre = main et pied de l'homme, aile et patte de l'animal).
2. les définitions en compréhension (ou en intension), c'est-à-dire par les propriétés « essentielles » envisagées comme constitutives du référent (homme = animal doué de raison ou de langage) ou par les propriétés « discriminantes » qui servent à distinguer le référent à définir des référents voisins (homme = le seul bipÈde qui soit dépourvu de plumes).
3. Les définitions opératoires indiquent une opération permettant d'identifier le référent (alcali: tout corps qui fait virer au bleu la teinture de tournesol).
4. Les définitions stipulatives sont des définitions qui confÈrent au terme son sens et auxquelles on fait appel pour définir surtout les notions mathématiques (cercle = l'ensemble des points situés dans un plan à égale distance d'un autre point, le centre).
5. Les définitions synonymiques sont utilisées surtout dans le cas des synonymes stylistiques, connotatifs ( mec = homme, nana = femme). Ce genre de définitions sont valables seulement si le synonyme auquel on renvoie est lui-mÊme défini ailleurs.
Une paraphrase est un énoncé plus développé, mais de contenu équivalent, qui dans une phrase pourrait à la rigueur remplacer le mot défini: (aguicher = exciter par diverses agaceries et maniÈres provocantes; miauler (en parlant du chat ou de certains félins) = faire entendre son cri). Les définitions paraphrastiques sont du type intensionnel et comportent une description plus ou moins précise du référent, une évocation de la représentation qu'on en a.
Il y a plusieurs types de paraphrases:
strictement équivalentes (v. aguicher);
par un mot ou une expression de sens plus général, moins précis ( un hyperonyme) (ainsi, tous les noms de fleurs peuvent Être définis à l’aide du mot fleur); on peut aussi procéder par antonymie, en niant un hyperonyme de sens opposé (céder = ne plus résister à la pression);
par un terme métonymique, de sens voisin (tÊte = partie du corps; classe = ensemble d'individus ou d'objets).
par dérivation (jovialité = caractÈre jovial);
par approximation (quiche = sorte de tarte de pate brisée).
Dans les dictionnaires encyclopédiques, les définitions insistent le plus souvent sur la description du référent. Dans les dictionnaires de langue, qui insistent sur la connaissance du sens, on ne donne que les renseignements strictement nécessaires à son identification.
Les contextes (exemples construits ou authentiques) sont censés illustrer les emplois discursifs du mot à définir, à partir de l’assertion théorique selon laquelle le(s) sens d’un mot ne s’éclaire(nt) qu’en contexte, lors de son emploi effectif dans les différentes situations de communication.
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