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Stylistique de la composante phrastique

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Stylistique de la composante phrastique

Considérations générales

Territoire unique de la stylistique non textuelle, la composante phrastique du texte littéraire comprend les figures du mot et de la phrase ou autrement dit les figures du code linguistique. La tradition stylistique parle de figures de diction, de construction, du sens et de pensée. La néo-rhétorique du Groupe µ , qui propose une nouvelle théorie des figures (métaboles), à la lumiÈre de la linguistique distributionnelle, assigne à ces classes une terminologie différente : métaplasmes, métataxes, métasémÈmes et métalogismes, rendant compte du domaine linguistique affecté par les figures : plastique (phonétique et graphique), syntaxique, sémantique et logique. Cette théorie (à laquelle nous emprunterons certains éléments) définit la figure comme modification, altération d’un aspect quelconque du langage, réalisée par des opérations rhétoriques substantielles et relationnelles. Elle s’inscrit, donc, dans la vision traditionnelle pour laquelle la figure représente un écart par rapport à la normalité linguistique, approximée par les théoriciens du Groupe µ sous le nom de degré zéro. Le degré zéro, tout comme la norme, ne sont que des constructions théoriques, des virtualités sans correspondant dans la réalité linguistique, qui ne peut se soustraire à l’empire du style, trait inhérent du langage. Si tel est le cas, la normalité linguistique inclut la stylisticité et, du fait, le concept de norme et celui de degré zéro, tout comme le concept d’écart, perdent leur relevance. Les figures du langage ne représentent pas alors des altérations du code linguistique, mais des universaux que celui-ci véhicule, des classes du langage, que l’on peut étudier, comme toute autre classe linguistique, en établissant leurs rÈgles de bonne formation en rapport avec l’évaluation d’acceptabilité, rÈgles qui coÃncident, grosso modo, avec les opérations rhétoriques du Groupe µ.



Les figures de la composante phrastique seront traitées comme des entités, comme des paradigmes, des mécanismes stylistiques abstraits et universaux, vus sous un angle « morphologique ». Autrement dit, ce chapitre veut Être un micro précis de stylistique, inventaire sélectif de figures et de rÈgles de formation. La sélection a comme critÈres la virtualité expressive des figures et leur fréquence dans les textes littéraires. Loin d’Être objectifs, ces critÈres se complÈtent l’un l’autre, réduisant de la sorte le taux de subjectivité à une dimension acceptable : les figures les plus fréquentes sont celles qui sont le plus expressives ; leur fréquence est due à la conscience de leur expressivité.

Une telle approche stylistique de la composante phrastique pourrait accréditer l’idée du caractÈre ponctuel des figures. Or, mÊme à ce niveau, les unités stylistiques qui sont les figures se définissent également par leur comportement syntagmatique. Le détachement de l’unité stylistique de son cotexte, phrastique en l’occurrence, n’est qu’un artifice servant à la mise en évidence de l’existence théorique des classes d’unités discrÈtes. L’impacte cotextuel des figures, que nous ne perdrons pas de vue, démontre que les figures du mot ne sont que des abstractions et que la stylistique ne saurait Être que textuelle.

1. Le domaine phonétique

Le découpage phonétique

Au point de vue phonétique, les unités discrÈtes inférieures au mot sont : le phÈme ou trait distinctif, unité minimale infra linguistique, le phonÈme, unité minimale linguistique, et la syllabe, formée d’au moins un phonÈme vocalique. Le mot phonétique se compose d’une ou de plusieurs syllabes. Les unités supérieures au mot sont le groupe rythmique ou accentuel, constitué d’un ou de plusieurs mots portant un accent principal, et le groupe de souffle, qui comporte un ou plusieurs groupes rythmiques, articulés entre deux inspirations. A l’intérieur du groupe de souffle, les groupes rythmiques sont délimités par des ruptures tonales. Le groupe de souffle se termine par une pause. L’accent et le ton représentent des unités suprasegmentales, déterminant le rythme et la mélodie de la phrase. Les groupes rythmiques et les groupes de souffle coÃncident, dans le plan syntaxique, au syntagme, respectivement à la phrase, ce qui signifie que l’accent français est syntaxique.

L’expressivité phonétique

L’expressivité phonétique est le domaine par excellence de la poésie et des formes littéraires hybrides telles le poÈme en prose, la prose et le théatre poétiques. Cela ne signifie pas que les autres genres et espÈces n’en usent pas, mais ils le font d’une maniÈre non systématique.

L’expressivité à ce niveau est principalement une question de sons, de musicalité et de rythme.

Objectivement, les problÈmes de nature phonétique relÈvent de la dimension locutionnaire du langage, indépendante des instances discursives. Toute expression linguistique comporte des sons, ordonnés suivant le systÈme phonologique et grammatical de la langue et portant un sens en conformité avec les rÈgles sémantiques de la langue.

L’arbitraire du signe linguistique, c’est-à-dire l’absence de motivation causale dans l’association des deux faces ou plans du signe : l’aspect phonique et le concept, semble Être contredit par la poésie, qui fait souvent de la motivation poétique un principe essentiel de son engendrement. Cela veut dire que la poésie cherche et confÈre aux sonorités et aux rythmes des valeurs expressives qui passent normalement inaperçues.

Liée aux structures profondes de l’imaginaire, la valorisation ou la non valorisation des virtualités expressives du niveau phonétique de la langue est premiÈrement un problÈme de vision « poétique » ou « prosaÃque » sur le monde.

En seconde lieu, dans la vision « poétique », la valorisation peut Être de type analogique ou logique.

Le style analogique attribue aux sonorités et aux rythmes un sémantisme primaire, des capacités évocatoires, en deçà des valeurs sémantiques du mot ou de la phrase. On peut parler de l’existence en structure profonde d’une sorte de grammaire subliminale, substantielle, analogique, dont les « disciplines » ne séparent pas la forme et le contenu, mais identifient le physique et le psychique, la matiÈre et l’esprit. Les formes phonétiques reçoivent un sémantisme propre, qui anticipe, suit ou coexiste avec les autres significations textuelles. Ainsi, par voie analogique, les sonorités graves entrent en résonance avec les idées graves, les tonalités mineures appellent les thÈmes de la mélancolie, les sons clairs suggÈrent la joie, etc. De la mÊme maniÈre, le rythme a son sémantisme propre, pouvant fonctionner mÊme en tant que générateur textuel, comme l’attestent les témoignages de certains poÈtes : Blaga affirme que de préférence il crée « dans le rythme du pas » ; Valéry relate que son CimetiÈre marin est né d’un rythme décasyllabique, d’une sorte d’obsession musicale qui réclamait sa matérialisation.

La sémantisation des formes phonétiques n’est pas pourtant une rÈgle générale. Il existe toute une zone poétique insensible aux appels abyssaux de la grammaire subliminale. C’est la zone gouvernée par le style logique. Celui-ci joue sur la « géométrie » et la « musique » des formes, touchant au sensoriel. En usant de régularités phoniques e rythmiques, le style logique rend « visibles » et/ou « audibles » ces formes, qui sont capables de produire en elles-mÊmes le plaisir esthétique, au-delà de tout effet de sens.

Les dominantes micro stylistiques du niveau phonétique ne sont pas seulement une question d’idiolecte. Elles sont en bonne mesure déterminées par l’institution de la littérature, qui codifie les faits de nature phonétique en un systÈme prosodique ou de versification, systÈme normatif ouvert, c’est-à-dire soumis à de reconsidérations périodiques, fonction de l’évolution des formes et des conceptions littéraires.

Les dominantes micro stylistiques phoniques et rythmiques ne manifestent leur véritable potentiel expressif que dans l’au-delà de la phrase, dans la composante discursive du texte, oÙ elles s’intÈgrent dans les dominantes macro stylistiques. D’ailleurs, à ce niveau il est impossible de tracer une limite précise entre le domaine micro et macro stylistique, du fait que les figures phonétiques sont rarement ponctuelles, le plus souvent elles ne sont perceptibles que par leur caractÈre répétitif et cyclique, qui se manifeste dans la composante transphrastique.

Les figures phonétiques (métaplasmes)

Il existe des figures phonétiques à assez faible rende­ment esthétique, mais qui ont une grande fréquence dans le lan­gage parlé et dans l’argot, oÙ elles reçoivent un relief particulier. Cela ne veut pas dire qu’elles sont absentes du champ des lettres; elles y apparaissent surtout dans sa zone ludique ou dans des sé­quences dialogales, en tant que marques expressives du parler de certains personnages.

 Une classe importante de figures est représentée par les diffé­rents types d’abréviations:

Les sigles consistent en la réduction de composés trop longs à leurs seules lettres initiales. Elles affectent les noms de société, de groupes politiques, d’institutions, etc. :

C.G.T. -Confédération générale du Travail

P.T.T. – Postes, Télégraphe, Téléphone

P.J. – Police Judiciaire 

L’aphérÈse est la chute d’un phonÈme ou d’un groupe de phonÈmes à l’initiale du mot : pitaine pour capitaine, car  pour  autocar.

L’apocope est la chute d’un phonÈme ou d’une syllabe à la finale du mot : fac pour faculté, math pour mathématiques, bac pour baccalauréat, sympa pour sympathique.

La syncope est la suppression d’un phonÈme ou d’une syl­labe à l’intérieur du mot : m’sieur pour monsieur, v’là pour voilà, cui-ci pour celui-ci.

D’autres figures se réalisent par adjonction d’unités phonétiques : il s’agit de l’apparition d’un phonÈme ou d’une syllabe parasitaires à l’initiale ou à l’intérieur du mot:

La prothÈse est l’adjonction en position initiale d’un élé­ment non étymologique, sans modification sémantique : esquelette, espirituel, détrancher.

L’épenthÈse représente l’insertion d’un élément non étymo­logique en position médiane d’un mot : « mirlitaire » (Jarry), pensoter .

Une autre classe est celle des figures qui se réalisent par substitu­tion d’éléments, phonÈmes ou suffixes, en position médiane ou finale de mot : collidor pour corridor, « oneille » (Jarry) pour oreille, proprio pour propriétaire, mécano pour mécanicien.

Enfin, il y a les figures par déplacement et inversion d’unités phonétiques :

La métathÈse est l’inversion de deux pho­nÈmes ou de deux syllabes à l’intérieur du mot: hy­noptisme pour hypnotisme, infractus pour infarctus.

L’anagramme est le bouleversement de l’ordre des phonÈ­mes d’un ou de plusieurs mots : Marie – aimer.

Le contrepet ou la contrepÈterie est l’interversion des let­tres ou des syllabes d'un ensemble de mots spécialement choisis, afin d'en obtenir d'autres dont l'assemblage ait également un sens, de préférence burlesque ou licencieux : « Femme folle à la messe » (Rabelais).

Le palindrome est un mot ou un groupe de mots dont les phonÈmes ou les lettres peuvent Être lus indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche, l’ensemble gar­dant le mÊme sens: ressasser ; élu par cette crapule

Nous accordons, dans ce qui suit, une attention particu­liÈre aux éléments phonétiques de versification, de nature seg­mentale et suprasegmentale, vu leur virtualité expressive ample­ment exploitée, actualisée par la littérature, surtout par la poésie et la prose poétique.

Le vers est une unité segmentale formée d’un certain nombre de syllabes, terminée par une rime et comportant un cer­tain rythme, donné par le nombre et la disposition des accents et des pauses.

Le vers français se caractérise par le rythme syllabique. Il compte un certain nombre de syllabes accentuées et non accen­tuées, séparées en deux versants par un arrÊt nommé césure. Le vers régulier, traditionnel garde un nombre constant de syllabe. Cette contrainte produit des figures phonétiques de nature quantitative : diérÈse, synérÈse, comportement particulier du e instable.

La diérÈse se définit comme dissociation des unités phonéti­ques d’une diphtongue en deux syllabes différen­tes, réalisée par la transformation d’une semi-voyelle en voyelle: pre-mi-Ère au lieu de pre-miÈre; « Le poÈte est semblable au prince des nuées » (Baudelaire);

La synérÈse consiste en la prononciation groupant en une seule syllabe deux voyelles contiguës, par la transforma­tion de l’une d’entre elles en semi-voyelle: oa-sis ou lieu de o-a-sis;

La prononciation obligatoire de certains e normalement muets, dictée par l’obligation de garder dans le vers un nombre constant de syllabes, respecte les rÈgles suivantes:

à l’intérieur du vers, on prononce le e final d’un mot, s’il est situé entre deux consonnes:

« OÙ l’ange des douleurs vide ses noirs calices,

OÙ la hache s’émousse aux billots ruisselants »

(Gautier)

à l’intérieur du mot, on prononce toujours le e instable situé entre deux consonnes:

« Le linceul mÊme est tiÈde au cœur enseveli »

(Lamartine)

D’autres figures phonétiques de versification sont de nature qualitative.

L’assonance représente la répétition du mÊme son, voire de la mÊme voyelle accentuée à la fin de chaque vers: belle et rÊve.

La rime  se définit comme disposition de sons identi­ques à la finale de mots placés à la fin de deux unités rythmiques (vers). Suivant le critÈre de la qualité, on parle de rime suffisante, qui repose sur l’homophonie de deux éléments (volonté – éternité), de rime pauvre, basée sur l’homophonie d’une seule voyelle (ami – pari), de rime riche, comprenant au moins une voyelle et sa consonne d'appui (arbre – marbre), de rime correcte, lorsque l’homophonie est parfaite, et de rime mauvaise, quand les voyelles ne sont pas parfaitement homophones (autrui – oubli) ou que l’on utilise des mots de mÊme formation grammaticale (faire – taire). D’aprÈs leur disposition, il existe des rimes plates, qui se suivent selon le schéma aa, bb, cc…, des rimes croisées ou alternées (abab), des ri­mes embrassées (abba), etc. La rime intérieure consiste dans l’anticipation à l'hémistiche des sons qui finissent le vers: « Il pleure dans mon cœur » (Verlaine);

L’allitération est la répétition des consonnes initiales (et par ext. des consonnes intérieures) dans une suite de mots rapprochés: « Un frais parfum sortait des touffes d’asphodÈle » (Hugo).

La paronomase est le rapprochement dans la mÊme phrase/dans le mÊme vers de paronymes : éminent / imminent

L’harmonie imitative est l’emploi répétitif de sons vocaliques ou consonantiques qui imitent ou évoquent les bruits produits par les choses signifiées: «  Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos tÊtes? » (Racine)

Graphie et expressivité. Les métagraphes

L’aspect graphique du langage, tout comme l’aspect phoni­que, est virtuellement porteur d’expressivité.

Au-delà du fait que le plus souvent les figures phonéti­ques affectent simultanément la graphie des unités en question, il existe des figures proprement graphiques, les métagraphes, figures visuelles, sans consé­quence sur le plan sonore. Parmi celles-ci on peut mentionner:

les graphies fantaisistes : « phynance » pour finance (Jarry), « hénorme » pour énorme (Flaubert);

les graphies étrangÈres: « HéraklÈs » (Leconte de Lisle) pour HéraclÈs;

les graphies archaÃques: « roy », « demoy-selle » (Balzac) ;

la graphie phonétique: « si tu t’imagine / xa va xa va xa /va durer toujours / la saison des za / la saison des za / la saison des amours… » (Queneau);

- la rime pour l’œil : aimer – amer.

L’expressivité graphique relÈve souvent du maniement ty­pographique du texte. Mise en page, titres, alinéas, marges, blancs, etc. peuvent devenir des moyens efficaces de mise en re­lief.

Les principales figures de ce genre sont:

le calligramme, poÈme dont les vers sont disposés de fa­çon à former un dessin évoquant le mÊme objet que le texte (v. « Calligrammes », recueil de poÈmes d'Apolli­naire);

l’emploi des majuscules: « Liens déliés par une libre flamme Ardeur / Que mon souffle éteindra ô Morts à qua­rantaine » (Apollinaire);

l’emploi des italiques (ou d’autres caractÈres de lettres) : « Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé / Porte le soleil noir de la Mélancolie » (Nerval).

Enfin, on peut parler de l’expressivité du support graphi­que, format, grain et couleur du papier, couverture, illustrations, etc., phénomÈne qui dépasse le champ de la stylistique, pour re­joindre celui de la sémiotique.

2. Le domaine syntaxique

La décomposition syntaxique

Suivant la grammaire distributionnelle, les unités syntaxiques sont en relations hiérarchiques. Toute unité complexe est analysable en unités de rang immédiatement inférieur. Cela veut dire que chaque constituant de rang n est analysable en ses constituants immédiats de rang n-1.

En considérant la phrase comme unité de premier rang, ses constituants immédiats sont les propositions ; à leur tour, les propositions sont formées de syntagmes ; les syntagmes sont constitués de mots et les mots de morphÈmes.

Les constituants immédiats appartiennent à des classes distributionnelles. La distribution d’une unité est la somme de ses environnements, l’ensemble des positions dans lesquelles elle peut prendre place. Les classes distributionnelles (ou paradigmes) contiennent l’ensemble des éléments pouvant apparaitre dans une position.

Les classes de mots ou parties du discours sont soit des lexÈmes (noms, verbes, adjectifs, adverbes dérivés d’adjectifs), soit des morphÈmes grammaticaux libres ( déterminants, pronoms, adverbes, joncteurs et interjections).

Les morphÈmes liés sont soit lexicaux (les affixes), soit grammaticaux, servant à marquer les catégories grammaticales des mots flexionnels – le genre, le nombre, la personne, le temps, le mode, la modalité, l’aspect et la voix.

L’expressivité syntaxique

La problématique de la syntaxe stylistique se concentre autour des aspects suivants:

- la présence des marques complémentaires qui unissent entre eux les morphÈmes et les syntagmes, signes représentatifs des catégories grammaticales ;

l’appartenance des morphÈmes à des classes de mots, qui se définissent par la capacité de leurs éléments d’occuper une certaine position dans un syntagme quelconque ;

- l’intégrité de la phrase et des syntagmes, c’est-à-dire la présence de leurs constituants minimaux ;

- l’ordre relatif des syntagmes dans la phrase et des morphÈmes dans le syntagme.

Chacun de ces aspects est porteur de virtualités stylistiques, qui se matérialisent en figures syntaxiques. Cependant, comme nous l’avons déjà mentionné, le style ne se résume pas aux figures. L’expressivité syntaxique n’est pas une simple question d’emploi de figures, mais de valorisation subjective, particuliÈre, des ressorts grammaticaux de la langue. Entre la grammaticalité et la stylisticité il n’y a pas contradiction mais coÃncidence, ce qui veut dire que tout fait syntaxique est plus ou moins pertinent au point de vue stylistique, fonction de son usage.

Les contraintes grammaticales, malgré leur apparente sévérité, sont relatives, sinon permissives, presque chaque « rÈgle » a sa contre-rÈgle, lieu de l’évaluation d’acceptabilité et du relief stylistique. La dualité fonciÈre entre les faits marqués et non marqués, la polyvalence fonctionnelle des formes linguistiques et le polymorphisme des fonctions dessinent un vaste espace de manœuvre subjective, expressive de la syntaxe. D’autre part, les contraintes grammaticales se doublent de rÈgles conventionnelles imposées par le sociolecte et perceptibles dans l’évolution des genres et des espÈces littéraires, oÙ elles se manifestent comme tendances dominantes à tel ou tel moment de l’histoire de la littérature. Il existe, de la sorte, une syntaxe poétique, différente à bien des égards de la syntaxe prosaÃque ou dramatique. En mÊme temps, ces « syntaxes » subissent elles-mÊmes des mutations, suivant l’évolution des formes et des conceptions littéraires.

Le conditionnement générique de la syntaxe littéraire est plus manifeste dans la composante discursive du texte qu’au niveau phrastique, oÙ l’on risque de perdre le tableau d’ensemble en faveur de quelques observations ponctuelles. Nous aborderons donc cet aspect dans le chapitre suivant du cours.

En matiÈre d’idiolecte, on peut distinguer entre le traitement analogique et le traitement logique de la syntaxe, repérables au niveau de l’emploi des catégories grammaticales, des classes de mots, de la construction phrastique et de l’ordre syntagmatique des unités syntaxiques. Encore une fois, comme dans le cas de l’expressivité phonétique, il s’agit de la différence entre l’exploitation de type analogique des capacités évocatoires des formes, perçues et conçues comme porteuses d’un sémantisme propre, primaire, et la mise en valeur des qualités esthétiques intrinsÈques des formes, liées à la perception logique des parallélismes, des symétries, des proportions visuelles et/ou auditives.

Le champ de manifestations syntaxiques idiolectales est si vaste que nous nous bornerons à esquisser une problématique, en nous arrÊtant sur un nombre limité de faits concrets.

Les catégories grammaticales du genre et du nombre peuvent intéresser le style analogique, dans la mesure oÙ elles suscitent des associations subliminales, sans rapport objectif avec la réalité grammaticale.

Selon Marcel Cressot , le genre dans les substantifs inanimés crée une sorte de mythologie du lexique : les mots sont vaguement pourvus des caractÈres spécifiques du sexe auquel leur genre correspond. Autrement dit, l’imaginaire humain confond genre et sexe, d’oÙ les personnifications et les allégories qui exploitent les valences évocatoires du masculin et du féminin. Le style analogique conférera, par exemple, au jour et à l’astre diurne des traits masculins (dans la mythologie grecque le soleil est personnifié par le dieu Apollon), à la nuit et à l’astre nocturne un visage et un comportement féminins, induits par le genre des substantifs en question : « Et le char vaporeux de la reine des ombres » (Lamartine)

Quant au style logique, il est indifférent à ce sémantisme primaire. Le vers hugolien « C’est l’ange Liberté, c’est le géant LumiÈre » contient deux personnifications qui ne sont pas sous-tendues par le genre des substantifs, celui-ci devant son expressivité au jeu d’oppositions masculin-féminin ( ange Liberté, géantLumiÈre) et à la symétrie des deux constructions.

La catégorie du nombre est stylistiquement pertinente surtout dans le cas de l’emploi du singulier pour le pluriel et, inversement, du pluriel pour le singulier. La « grammaire subliminale » attache cependant au nombre des valeurs évocatoires propres, l’incorporant à la rÊverie de l’unicité, de la singularité, du relief particulier, ou, au contraire, à celle de la dissolution, de l’obscurcissement, de l’évaporation, de l’éparpillement de l’unique dans le multiple.

Un exemple concluant d’emploi analogique du nombre, mais également du genre, nous est offert par cette strophe d’Apollinaire :

Voie Lactée ô sœur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d’ahan

Ton cours vers d’autres nébuleuses

Ici la rÊverie poétique joue sur la définition métaphorique de la Voie lactée comme Être féminin – sœur lumineuse – et sur l’évanouissement de l’objet cosmique, unique mais flou, sans contours précis, en une multitudes de particules – blancs ruisseaux, corps blancs des amoureuses, nageurs morts – autant de « fragments » cosmiques qui le recomposent comme pluralité intégrée dans une pluralité plus grande – les autres nébuleuses – tout aussi évanescente et fluide, écoulement vers l’infini, vers la perte de l’identité.

La construction phrastique est un problÈme complexe qui concerne, entre autre, l’ordre des mots dans les syntagmes et l’ordre des syntagmes dans la phrase. Or l’ordre est pratiquement inséparable des aspects mélodiques et rythmiques de la phrase. Nous illustrerons, dans ce qui suit, par des exemples, deux maniÈres différentes d’organisation de la phrase, l’une analogique, l’autre logique.

Le pouvoir évocatoire de la structuration syntaxique est particuliÈrement évident dans cette strophe de Valéry:

Lasse, ayant bu l’azur, de filer la caline

Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,

Elle songe et sa tÊte petite s’incline.

Les vers décrivent, d’une maniÈre métaphorique et allusive, l’assoupissement de la fileuse devant la fenÊtre. Ils surprennent le moment confus qui précÈde le sommeil proprement dit, celui du glissement imperceptible de l’état de veille à l’état de rÊverie. La confusion du personnage, le fil désordonné de ses pensées ne sont pas verbalisés par le poÈme, mais ils sont suggérés par la dislocation des unités syntaxiques de leur place habituelle, qui entraine des irrégularités rythmiques et mélodiques orientées dans le mÊme sens.

L’organisation syntaxique de type logique, plus fréquente, valorise les proportions quantitatives, les équilibres et les symétries, comme dans cette strophe de Lamartine :

Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,

Hatons-nous, jouissons !

L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;

Il coule et nous passons !

Les parallélismes syntaxiques, phoniques et rythmiques y sont évidents, la construction est presque mathématique, expressive en elle-mÊme, sans rapport direct avec le contenu exprimé. On pourrait dire qu’on a affaire à deux discours parallÈles, l’un formel, l’autre conceptuel, qui ont le rôle de se mettre réciproquement en valeur, en l’absence de toute effort de motivation poétique.

La prose et le théatre peuvent eux aussi fournir des exemples de constructions logique ou analogique de la phrase. On peut distinguer entre une construction géométrique, supposant un commencement, une étendue et une fin faciles à saisir (la période des Antiques), qui s’accompagne de régularités mélodiques et rythmiques plus ou moins évidentes et prévisibles, et une construction dynamique, irréguliÈre, plus mouvementée, produisant des ruptures tonales et rythmiques plus marquées, à mÊme de suivre ou de souligner le contenu exprimé.

Analysons une phrase de Flaubert, représentative pour le souci d’équilibre et d’harmonie auto suffisants, caractéristiques du style logique :

Et une nuit, par un clair de lune, ils prirent le chemin du cimetiÈre, marchant comme des voleurs, dans l’ombre des maisons.

La phrase est constituée de cinq séquences, organisées en une partie introductive – deux constructions circonstancielles, qui apportent des précisions de nature temporelle, une partie centrale qui expose, sous forme propositionnelle, l’essence du message, et une partie finale, conclusive – de nouveau deux constructions circonstancielles. L’organisation symétrique des circonstants autour du noyau central sert à sa mise en relief. Le contour syntaxique est souligné par l’équilibre quantitatif des séquences, qui entraine des parallélismes rythmiques et mélodiques remarquables, donnant à l’ensemble l’allure d’une phrase musicale, harmonieuse et expressive en elle-mÊme, au-delà de tout rapport avec son contenu sémantique.

Nous illustrons le type analogique de construction syntaxique de la phrase par un exemple tiré de Rousseau :

Mais se trouver auprÈs d’elle, mais la voir, la toucher, lui parler, l’aimer, l’adorer, et, presque en la possédant encore, la sentir perdue à jamais ; voilà ce qui me jetait dans des accÈs de fureur et de rage qui m’agitÈrent par degrés jusqu’au désespoir.

La phrase a deux membres, séparés par un point-virgule, qui marque un changement de ton et de registre discursif. Le premier membre suit de prÈs les mouvements de l’ame, l’agitation du locuteur-scripteur qui revit, en les relatant, les états éprouvés. Le second, introduit par le présentatif voilà, passe à l’explication et à l’analyse quelque peu détachée, objective du vécu antérieur.

Le premier membre est composé de huit groupes syntaxiques et rythmiques ; cette fragmentation excessive accompagnée d’une succession rapide d’accents forts et de ruptures tonales est à elle seule capable de rendre l’émotion exprimée par les signifiés des vocables utilisés. Le parallélisme de la construction des groupes, formés, dans sept cas sur huit, d’un infinitif précédé d’un pronom complément, et lé parallélisme phonique en /e/, présent dans cinq groupes, situés dans la partie centrale de la séquence, ne font que souligner le mouvement affectif. Le tumulte intérieur fait éclater le langage, qui ne s’embarrasse plus de souci pour une construction logique, articulée, variée, mais se contente de moyens économiques, tels l’infinitif et la répétition. Nous avons ici l’illustration de la maniÈre dont le psychologique peut dominer et transformer le linguistique, le subordonnant à ses propres humeurs.

Dans le second membre de la phrase le tumulte s’apaise et le mouvement devient plus ample : le nombre des groupes syntaxiques et rythmiques diminue considérablement, les unités à l’intérieur des groupes se multiplient, les parallélismes disparaissent en faveur de la diversité, aux infinitifs se substituent les formes verbales personnelles, le souffle se régularise, la saccade cédant la place au écoulement lent et équilibré des mots.

Les figures syntaxiques (métataxes)

Les figures syntaxiques, tout comme celles phonétiques et graphiques, se situent dans le plan du signi­fiant, ce qui explique le fait qu’entre les deux classes il n’existe pas de frontiÈre nette, au contraire, il y a parfois chevauchement: par exemple, une altération de la catégorie du nombre (travails au lieu de travaux) repré­sente en mÊme temps une modification de nature phonétique et graphique ; une intervention au niveau de l’intégrité d’une unité syn­taxique est également perceptible comme intervention au niveau phonétique et/ou graphique

D’autre part, la syntaxe ne peut pas faire abstraction du plan du signifié. Les classes de mots ou parties du discours se matérialisent en lexÈmes, or ceux-ci sont porteurs de sens. Ainsi, tout changement de classe grammaticale entraine un changement sémantique, ce qui rend perméable la limite entre les figures de construction et les figures du sens. On peut aller encore plus loin et dire qu’il n’existe pas de pervertissement de l’ordre des mots sans modification sémantique.

Les figures syntaxiques (métataxes) sont les procédés expressifs qui modifient la chaine linéaire de la phrase (y compris sa dimen­sion suprasegmentale) au niveau des morphÈmes, des classes de mots, de l’intégrité des unités ou de leur ordre. La classification que nous proposons a pour critÈre es­sentiel justement l’aspect syntaxique concerné.

La catégorie grammaticale se définit comme « un ensem­ble de morphÈmes (un paradigme), un systÈme de valeurs opposi­tionnelles qui s’excluent l’une l’autre et dont le choix est dicté par des relations obligatoires. » Les catégories grammaticales telles que le genre, le nombre, la personne, le temps, etc. sont des marques formelles appartenant aux classes de mots flexionnelles. Les relations obligatoires qui s’établissent entre les classes sont l’accord, la concordance, le régime et la rection.

Comme nous l’avons déjà remarqué, les modifications formel­les au niveau des morphÈmes se situent à la limite entre les figures phonétiques et les figures syntaxiques. Ainsi, festivaux au lieu de festivals représente en mÊme temps une substitution de phonÈmes ou de syllabe (domaine phonétique) et une substitution de morphÈme de pluriel (domaine syntaxique).

Les modifications de nature relationnelle entrent dans la catégorie des figures appelées syllepses . Il existe plusieurs types de syllepses: de nombre, de genre, de personne, de temps,

l’anacoluthe.

La syllepse de nombre consiste en l’emploi du pluriel pour le singulier  ou, inversement, du singulier à la place du pluriel: minuit sonnÈrent; « Je marche sur ma ténÈbre » (Cocteau).

La syllepse de genre est représentée par l’emploi du masculin pour le féminin, respectivement du féminin pour le pluriel: « C'est la sentinelle qui le premier s’inquiÈte » (Perret);

a t’avance bien, lui dit son pÈre. Gros bÊte, va ! » (Aymé). Dans cette catégorie de figures entrent également les hypocoristiques avec inversion af­fective des genres: le masculin mis pour le féminin: mon petit, mon chéri, respectivement le féminin mis pour le masculin: ma belle, ma vieille.

La syllepse de personne est un désaccord entre le pronom personnel et le verbe: « le ciel s’entre’ouvris-je quand il parus-je. » (Desnos); « Tu me suicides, si docilement, / Je te mourrai pourtant un jour, / Je connaitrons cette femme idéale. » (Desnos).

La syllepse de temps consiste en le non-respect de la concordance des temps: « …ces divins accents expiraient et re­naissaient tour à tour; ils semblaient s’adoucir encore en s’égarant dans les routes tortueuses du souterrain. Je me lÈve et je m’avance… » (Chateaubriand); « …vous de­vinez à cette luisance d’aluminium que ce qui s’approche, vous croise et disparait, c’était un camion de pétrole » (Breton).

L’anacoluthe est type particulier de syllepse, définie comme rupture ou discontinuité dans la construction d'une phrase: « Et pleurés du vieillard, il grava sur leur mar­bre » (La Fontaine); « Assise, la fileuse au bleu de la croi­sée, / OÙ le jardin mélodieux se dodeline, / Le rouet an­cien qui ronfle l’a grisée »(Valéry).

Le phénomÈne de changement de la classe de mots est fréquent tant dans le langage de la littérature que dans le langage courant. Le changement le plus habituel est la substantivation, qui peut concerner le verbe, l’adjectif, l’adverbe, les locutions: dire – le dire, bleu – le bleu, bien – le bien, au-delà – l’au-delà, etc. Le changement de la classe grammaticale est un simple fait de langue, qui, selon l’usage et le contexte, devient expressif. Ce type de substitution s’accompagne parfois d’une création lexicale: « Oh ! c’est encore ce gémir d’abandonner le sommeil ! » (Aragon) ; « …je me chaise si les chemins tombeaux » (Desnos).

Les figures qui affectent l’intégrité des unités syntaxiques peuvent Être groupées en trois classes génériques: les ellipses, les accumulations et les répétitions.

On définit généralement l’ellipse comme omission syn­taxique ou stylistique d'un ou plusieurs éléments dans un énoncé qui reste néanmoins compréhensible: chacun son tour pour cha­cun doit agir à son tour; « Je t’aimais inconstant: qu’aurais-je fait, fidÈle ? » (Racine). L’omission peut concerner les morphÈ­mes, les mots, les syntagmes. Il existe plusieurs figures que l’on peut placer sous cette étiquette: la crase, le zeugme, la parataxe, l’asyndÈte, l’omission de la ponctuation.

La crase représente la contraction de syllabes finale et ini­tiale de deux mots joints, le plus souvent un substantif et son adjectif: minijupe, minigolf .

Le zeugme ou le zeugma est l’ellipse d’un mot ou d’un groupe de mots déjà exprimés dans une proposition im­médiatement voisine et que l'esprit peut rétablir aisément: « L'air était plein d'encens et les prés de verdure » (Hugo); « Que Crésus est heureux ! Il a tout, et moi rien. » (Voltaire).

La parataxe est une construction par juxtaposition, sans qu'un mot de liaison indique la nature du rapport syntaxi­que entre les propositions: Il entra. Tous les regards se tournÈrent vers lui ; « le marchand de sable va passer / préparez vos mentonniÈres / fermez vos paupiÈres / le marchand de gadoue va vous emporter » (Prévert).

L’asyndÈte ou disjonction est l’omission des marques de coordination: « Si je vous aime ! ô Dieux ! mes serments, mes parjures, / Ma fuite, mon retour, mes respects, mes injures, / Mon désespoir, mes yeux toujours de pleurs noyés, / Quels témoins croirez-vous, si vous ne les croyez ?… » (Racine).

L’omission de la ponctuation représente une véritable fi­gure lorsqu ‘elle est totale, comme, par exemple, dans la poésie d’Apollinaire: « J’ai cueilli ce brin de bruyÈre / L’automne est morte souviens-t’en / Nous ne nous verrons plus sur terre / Odeur du temps brin de bruyÈre/ Et souviens-toi que je t’attends »  

Il existe des procédés stylistiques qui modifient l’intégrité des unités syntaxiques dans le sens de leur développement. Nous les groupons sous le nom générique d’accumulation. Encore une fois, les unités concernées vont du morphÈme à la phrase. Voilà les principales figures par accumulation: l’explétition, l’énumération, l’apposition, la digression et la parenthÈse.

L’explétition se définit comme emploi de mots explétifs, c’est-à-dire de mots superflus, usités sans nécessité pour le sens ou la syntaxe de la phrase, qu’ils remplissent pour­tant, en accentuant une certaine attitude subjective: « Prends-moi le bon parti, laisse-là tous les livres » (Boi­leau); « Et que m’a fait, à moi, cette Troie oÙ je cours ? » (Racine).

L’énumération consiste à énoncer successivement les diffé­rentes parties d'un tout ou les attributs d’un objet, ce qui se réalise formellement par le développement d’un syntagme à l’aide de l’adjonction d’un nombre indéter­miné de lexÈmes:

« Une pierre / deux maisons / trois rui­nes / quatre fossoyeurs / un jardin / des fleurs » (Prévert); « Une multitude de figures endolories, gracieuses et terri­bles, obscures et lucides, lointaines et rapprochées, se leva par masses, par myriades, par générations. » (Bal­zac).

L’apposition est le procédé par lequel deux termes simples (noms, pronoms) ou complexes (propositions) sont juxta­posés sans lien; elle sert de qualification, comme un ad­jectif  épithÈte: « Trois vieillards à tÊtes chauves étaient nonchalamment assis autour du tapis vert; leurs visages de platre, impassibles comme ceux des diplomates, révé­laient des ames blasées…» (Balzac).

La digression  est un développement par adjonction d’unités syntaxiques qui détournent la phrase de sa direc­tion sémantique initiale; cette figure s’appelle  parenthÈse, lorsque les unités respectives sont effectivement mises entre parenthÈses: « Deux tapisseries de haute lice repré­sentaient le couronnement d’Esther ( la tradition voulait qu’on eÛt donné à Assuérus les traits d’un roi de France et à Esther ceux d’une dame de Guermantes dont il était amoureux), auxquelles leurs couleurs, en fondant, avaient ajouté une expression, un relief, un éclairage…  » (Proust).

La répétition représente un procédé qui peut intéresser tous les niveaux linguistiques et donc appartenir, sous ces diverses variantes, à toutes les classes de figures. Il existe des répétitions syntaxiques, qui se manifestent comme multiplication d’une unité syntaxique simple ou complexe: l’anaphore, le polysyndÈte, le pléonasme.

L’anaphore est la répétition d’un mot ou d’un groupe de mots en tÊte de plusieurs vers ou membres de phrases, pour obtenir un effet de renforcement ou de symétrie: « Ce monde ennemi de Jésus-Christ, ce monde qui ne connait pas Dieu; ce monde qui appelle le bien un mal, et le mal un bien; ce monde, tout monde qu’il est, respecte encore la vertu » (Massillon); « Te voici à Marseille au milieu des pastÈques // Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant // Te voici à Rome… » (Apollinaire). 

Le polysyndÈte représente la répétition des marques de coor­dination: « Ah ! mon Dieu ! quel sacrifice ! et là-des­sus, elle tombe sur mon lit; et tout ce que la plus vive douleur peut faire, et par convulsions, et par des éva­nouissements, et par un silence mortel, et par des cris étouffés,…, elle a tout éprouvé. » ( Mme de Sévigné).

Le pléonasme est une forme particuliÈre de répétition, consistant à reprendre un terme ou une expression qui viennent d'Être énoncés, reprise inutile au point de vue syntaxique, mais à grand effet persuasif; syno­nyme de redondance et de tautologie, la figure ne doit pas se confondre avec le pléonasme fautif (prévoir à l'avance; monter en haut): «Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre ! » (Corneille); « Laissez-moi m’endormir du som­meil de la terre. » (Vigny)

L’ordre des mots est un fait important de la syntaxe stylisti­que. Il ne faut pas pourtant confondre les aspects purement grammaticaux, tels l’inversion du sujet dans la phrase interroga­tive ou la place variable de l’adjectif, fonction de l’ordre intellec­tuel ou affectif des mots, avec les inversions expressives, les seu­les à représenter des faits de style. L’inversion est définissable comme déplacement d'un mot ou d'un groupe de mots par rapport à l'ordre normal ou habituel de la construction phrastique. Parmi les figures par inversion nous citons l’hyperbate et le chiasme.

L’hyperbate consiste à intervertir l'ordre naturel des mots ou à disjoindre deux termes habituellement réunis: « Mais sans or soupirer que cette vive nue / L’ignition du feu toujours intérieur / Originellement la seule continue / Dans le joyau de l’œil véridique ou rieur » (Mallarmé);

Le chiasme est une figure formée d'un croisement de ter­mes, qui implique tant une répétition de nature sémantique ou syntaxique, qu’une inversion: blanc bonnet et bonnet blanc; « Le passé me tourmente et je crains l’avenir » (Corneille).

Nous finissons cette séquence avec des remarques sur quelques éléments prosodiques.

Le vers français est le plus souvent séparé en deux ver­sants par une pause nommée césure. Dans les grands vers, qui comptent plus de neuf syllabes, sa place est généralement déter­minée: aprÈs la quatriÈme syllabe, dans le vers décasyllabique, aprÈs la sixiÈme dans l’alexandrin. Les vers courts n’ont pas de césure.

A côté de la césure, déterminée par les accents forts, il y a des accents secondaires qui produisent d’autres légers arrÊts à l’intérieur du vers, appelés coupes. Elles peuvent intervenir à des intervalles réguliers ou irréguliers.

La disposition des césures et des coupes ne peut pas Être séparée du rythme syntaxique du vers. Selon Pierre Guiraud, « sous sa forme la plus fréquente et normale, le vers français est formé d’une proposition complÈte que la césure scinde en deux membres logiques. » 4

Les infractions à cette loi, représentant des figures, sont:

le rejet, qui consiste à reporter sur le vers suivant un ou plu­sieurs mots appartenant par la construction, le sens et le rythme au vers précédent: « Demain, dÈs l’aube, à l’heure oÙ blanchit la campagne, / Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. » (Hugo);

le contre-rejet, qui consiste à commencer une proposition par un ou plusieurs mots à la fin d’un vers et l’achever dans le vers suivant: « Le choc avait été trÈs rude. Les tri­buns / Et les centurions, raillant les cohortes, … » (Héré­dia);

l’enjambement, qui consiste à continuer le premier vers sur tout le premier hémistiche du second, sur tout le vers suivant ou sur la strophe entiÈre: « La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs / RÊvant, l’archet au doit, dans le calme des fleurs / Vaporeuses, tiraient de mourantes vio­les / De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles. » (Mallarmé).

Ces figures étaient proscrites par la poésie classique, dont les rÈgles fonctionnaient dans le sens d’éviter la rupture d’un groupe syntaxique à la césure ou à la rime. A partir du Roman­tisme, les poÈtes exploitent ces irrégularités et en font des procé­dés stylistiques pertinents. Généralement, l’effet du rejet et du contre-rejet est de mise en relief, tandis que celui de l’enjambement est l’atténuation du rythme, d’oÙ l’aspect prosaíque qui en résulte.

La tendance du vers moderne est de sacrifier la mesure à la syntaxe. Une suite de rejets et d’enjambement détruit le schéma du vers, menant à sa dislocation.

Prose et poésie se distinguent entre autres par la disposi­tion des accents d’intensité et de hauteur.

En prose, les accents sont répartis à tel ou tel endroit, selon la nature de la phrase: l’accent d’intensité tombe sur la derniÈre syllabe du mot ou du groupe rythmique; l’accent de hauteur, celui qui donne la mélodie de la phrase, consiste dans la prononciation sur une note plus éle­vée ou plus basse d’une partie de la phrase, fonction de la moda­lité d’énonciation: phrase assertive, interrogative, injonctive, ex­clamative. Il existe, de plus, un rapport entre la répartition des accents et l’aspect volumétrique des unités accentuelles et tonales, connu sous le nom de cadence. Il y a deux types de cadences : majeure et mineure. Dans la cadence majeure, à l’intérieur du syntagme, les unités, envisagées comme masses sonores plus ou moins importantes, se succÈdent en ordre croissant, tandis que la cadence mineure renverse cet ordre volumétrique. Le type dominant en français est la cadence majeure, par rapport à laquelle la cadence mineure serait plus marquée au point de vue stylistique. En réalité, la cadence ne révÈle son expressivité que dans la composante transphrastique, par le jeu des oppositions et des contrastes.

La poésie traditionnelle répartit les accents d’une maniÈre réguliÈre, fonction du mÈtre, c’est-à-dire du nombre de syllabes qui composent le vers.

Dans la prose, les récurrences rythmiques et mélodiques sont des marques évidentes de poéticité.

3. Le domaine sémantique

Le problÈme du signifié concerne tout premiÈrement la sémantique. En tant que trait inhérent du langage, la sémanticité équivaut à ce que toute unité linguistique a nécessairement un sens. Le sens sémantique se définit comme contenu immanent du mot ou de la phrase, indépendamment de la situation de communication. Le sens de la phrase est donné par le cumul du sens des mots qui la composent. Le sens sémantique n’est cependant qu’un « artefact des linguistes » , qu’il faut distinguer du sens pragmatique, qui pourrait Être défini comme interprétation du sens sémantique des unités linguistiques actualisées cotextuellement et contextuellement.

Les problÈmes stylistiques du sens pragmatique feront l’objet des chapitres suivants du présent cours. Pour le moment nous nous limitons à envisager la question du sens sémantique et de ses implications stylistiques.

La stylisticité, trait inhérent du langage, partage avec la sémanticité le territoire du sens du mot et de la phrase, sans s’y résumer.

Le signifié intéresse la stylistique en tant que forme du contenu.

Le découpage sémantique

La sémantique structurale propose l’analyse du signifié en termes de sÈmes, de sémÈmes et d’isotopies.

Le sÈme est un atome infra linguistique de signification. Le mot sémantique, unité linguistique appelée sémÈme, est défini comme collection de sÈmes. Le sémÈme comporte un noyau sé­mique (formé de sÈmes nucléaires, définitoires pour le sens du mot, et de sÈmes latéraux, porteurs d’information supplémentaire, redondante) et des classÈmes ou sÈmes contextuels, itératifs, qui assurent la compatibilité sémantique entre les unités manifestées dans la chaine syntagmatique. L’isotopie représente un réseau sémantique marqué par des redondances sémiques dans une unité sémantique supérieure au sémÈme. Une proposition est isotope si elle contient au moins un classÈme. L’absence de classÈmes donne naissance à une séquence allotope.

L’expressivité sémantique

L’expressivité sémantique doit Être mise en rapport avec les principaux problÈmes suscités par le signifié : les oppositions sens propre / sens figuré, dénotation / connotation, explicite / implicite, les relations sémantiques ( synonymie, antonymie, homonymie, polysémie, etc.) et les relations syntagmatiques entre les signifiés in praesentia.

Le sens propre est le sens fondamental du mot, le sens littéral, qui transmet un contenu notionnel, compris spontanément par les usagers, du fait qu’il y a un rapport direct entre le signifié du terme et son référent.

Le sens figuré est un sens détourné, second du mot, produit par la quasi-rupture entre le signifié et le référent du terme en question, entre les deux s’établissant un rapport oblique, indirect, de type analogique ou logique.

Une seconde distinction relative au sens du mot est celle entre la dénotation et la connotation.

Si l’on peut mettre le signe égal entre le sens propre et la dénotation, la connotation ne s’identifie pas au sens figuré. La connotation n’est pas un changement de sens, mais un élargisse­ment de celui-ci. Georges Molinié en donne la définition sui­vante: « l’ensemble des évocations accompagnatrices du noyau dénotatif, comme un mouvement d’associations qualitatives qui colorent l’émission de la lexie dans le domaine affectif et social. La connotation d’un mot en détermine ainsi la résonance. »

Nous la définissons comme  « forme de manifestation de la fonction créative du langage, sans conséquences intralinguisti­ques. Elle représente l’invasion de l’univers extralinguistique dans le monde verbal, invasion qui ne porte pas atteinte à son expression. La connotation est la capacité d’une unité sémantique d’évoquer, de ressusciter un monde d’objets, d’états, de senti­ments, de phénomÈnes, etc. Elle ne renvoie pas aux mots, mais au monde. Elle ne se confond pas avec les champs sémantiques, as­sociatifs, qui ne sont que l’aspect grammatical d’un phénomÈne qui dépasse le cadre strictement linguistique. La connotation est le dépositaire d’une culture et le souvenir d’une mythologie, le porteur d’une idéologie et le moteur d’une rhétorique. Elle est également une maniÈre d’impliquer l’autre dans la complicité du dire. Elle n’a pas besoin d’explication, mais va de soi » tirant sa sÈve d’un fonds culturel commun, d’un préconstruit. 

Enfin, il faut faire la distinction entre l’explicite et l’implicite linguistique. L’explicite est recouvert par le sens littéral, dénotatif. Le contenu explicite correspond « à l’objet essentiel du message à transmettre »3, à ce qui est dit littéralement. L’implicite équivaut au non-dit, à ce qui peut Être inféré (déduit) de ce qui est dit ou de la situation de communication. Il existe donc un implicite sémantique, conventionnel, calculable par le seul fait du sens, qui intéresse la composante phrastique, et un implicite pragmatique, dont l’interprétation est variable selon les situations et tributaire des connaissances d’univers, qui se situe dans la composante pragmatique du texte littéraire.

Sens propre et sens figuré, dénotation et connotation, explicite et implicite coexistent dans tout texte, mais à des degrés variables, fonction des contraintes sociolectales et idiolectales.

Comme tendances sociolectales générales, on pourrait affirmer que la composante phrastique de la prose s’oriente plutôt vers le sens propre, celle de la poésie vers le sens figuré et la connotation, celle du théatre oscille entre l’explicite et l’implicite, sur le modÈle du langage quotidien. Les contraintes génériques ne sont pas immuables, de sorte que l’on peut constater des changements notables dans l’orientation sémantique d’une époque littéraire à l’autre, qui peuvent aller jusqu’à contredire les dominantes générales mentionnées, comme c’est, par exemple, le cas de la poésie moderne qui préfÈre souvent au sens figuré le sens littéral du mot.

En matiÈre d’idiolecte, on peut parler de dominante logique – prédilection pour le sens propre, la dénotation, l’explicite, respectivement analogique – exploitation prépondérante du sens figuré, de la connotation, de l’implicite.

Le sens d’un mot engagé dans une phrase est en rapport étroit, d’un côté avec son environnement linguistique, par les relations syntagmatiques qu’il établit avec les autres mots de la phrase, d’un autre côté avec les classes mor­phologique et lexicale auxquelles il appartient et oÙ il forme des séries para­digmatiques avec d’autres mots de la classe. Le sens se situe donc à l’intersection des axes para­digmatique et syntagmatique du langage.

Dans le plan syntagmatique il s’agit de continuité ou de discontinuité sémantique entre les mots in praesentia, réalisées par la présence, respectivement l’absence des sÈmes contextuels ou classÈmes. Les principales catégories classémiques du français, qui dessinent un systÈme global d’oppositions , sont les suivantes :

I animé vs non animé 

humain vs animal matériel vs immatériel

masculin vs féminin male vs femelle

II  spatialité vs non spatialité

III  temporalité vs non temporalité

IV continu vs discontinu

V euphorie vs disphorie

Dans une phrase telle : « Les deux hommes, un instant, observÈrent la jeune femme immobile, serrée dans son manteau, et ce blÊme visage qui n’exprimait rien. » (Mauriac), l’isotopie est due à la présence des classÈmes [+humain], [+temporalité], [+continu], [+dysphorie].

Le vers « La lune s’attristait…» (Mallarmé) est allotopique de ce qu’il est construit sur l’opposition classématique animé vs non animé.

Le caractÈre isotopique ou allotopique de la construction sémantique est repérable tant au niveau de la phrase que dans son au-delà. Il est à mettre en rapport étroit avec les contraintes socio et idiolectales. Ainsi, la prose manifeste une tendance plus marquée pour l’isotopie, alors que l’allotopie est plus fréquente dans la poésie. Le style logique est isotope, le style analogique plutôt allotope.

L’appartenance des mots à des classes morphologiques devient significative au point de vue stylistique dans la mesure oÙ l’on peut remarquer des emplois récurrents qui dessinent des dominantes stylistiques : prédilection pour des substantifs concrets ou abstraits, pour certaines classes de verbes – de mouvement, d’opinion, de perception, etc., présence ou absence marquées de classes d’adjectifs qualificatifs, d’adverbes, etc. De telles tendances sont plus évidentes au niveau transphrastique et elles sont représentatives pour l’idiolecte de l’auteur.

Les relations sémantiques les plus marquées stylistiquement de par leur fréquence sont la synonymie et la polysémie.

Les séries synonymiques, oÙ il s’agit de changement de signifiants pour un seul et mÊme signifié (mourir, décéder, disparaitre, rendre l’ame, casser la pipe, crever, etc.) permettent l’adéquation de l’expression aux exigences sociolectales de niveau de langue (neutre, soutenu, vulgaire) et de registre de langue (rapport avec les milieux sociaux).

La polysémie, oÙ il y a surcharge de signifiés pour un seul et mÊme signifiant, est créatrice d’ambiguÃté, qui est amplement exploitée par la poésie et par la prose et le théatre poétiques.

En général, le vocabulaire, respectivement les champs sémantiques qui l’ordonnent sont des facteurs significatifs de stylisticité, rendant compte des tabous et des prédilections de telle ou telle époque littéraire ou de tel ou tel idiolecte d’auteur.

Les figures sémantiques (tropes ou métasémÈmes)

Sous l’angle de la production du sens, la stylistique sémantique basée sur l’analyse structurale du signifié doit rendre compte tant des figures du signifié, qui se produisent sur l’axe paradigmatique, que de leurs conséquences sur l’axe syntagmatique.

Sous l’angle de la réception, c’est sur l’axe syntagmatique que l’on perçoit l’incompatibilité sémantique entre les termes in praesentia, qui se manifeste par un développement allotopique ou par un changement brusque d’isotopie, la réduction de la figure, qui rétablit la cohésion sémantique de la phrase, se réalisant sur l’axe paradigmatique.

Traditionnellement on définit le trope comme figure par laquelle un mot ou une expression sont détournés de leur sens propre.

Au point de vue de l’analyse structurale, le trope représente le remplacement d’un sémÈme par un autre. Cette substitution implique des modifications sémiques au niveau du mot, et classémiques au niveau de la phrase.

Il existe une grande diversité de classifications des tropes, selon des critÈres différents. La taxinomie que nous proposons est basée sur le type de relations qui s’établissent entre les sémÈmes qui participent de la production / réception de la figure. Nous distinguons deux classes de tropes: analogiques, basés sur l’analogie, et logiques, basés sur la contiguÃté et l’inclusion

Les tropes par analogie

Ressemblance établie par l'imagination (souvent consacrée dans le langage par les diverses acceptions d'un mÊme mot) entre deux ou plusieurs objets de pensée essentiellement différents » l’analogie a comme point de départ un rapport comparatif. Les termes mis en relation ont un nombre variable de sÈmes communs et de sÈmes divergents, leur association favorisant les uns ou les autres de ces traits pertinents.

Nous présentons briÈvement les principales figures analogiques: la métaphore, la comparaison, l’oxymoron et la syllepse par métaphore.

La métaphore est un transfert de sens par substitution analogique. Le terme A ( terme d’arrivée) prend le sens du terme D (terme de départ), les deux sémÈmes possédant un nombre de sÈmes communs. Par exemple, dans la métaphore « faucille d’or » (Hugo) pour lune, A et D partagent les sÈmes [+ forme] et [+ brillance]. Plus le nombre de sÈmes communs est grand, plus la métaphore est facile à décoder, la distance sémantique qui sépare le terme de départ et celui d’arrivée étant petite. Au contraire, la substitution de sémÈmes éloignés, à partir d’un nombre réduit de sÈmes communs, rend la métaphore plus hermétique.

Suivant la présence ou l’absence du terme de départ dans la séquence discursive, on parle de métaphore in praesentia, respectivement in absentia.

La métaphore in praesentia représente un syntagme dont les termes, D et A, sont posés comme synonymes contextuels, en dépit de leur sens différent. Ce type de métaphore rend possibles des associations insolites: « Incertitude oiseau feint peint… » (Apollinaire).

La métaphore in absentia élimine le terme de départ et transfÈre au contexte, à travers la dissémination sémique, le rôle de contrôler le décodage de la figure: « O toison moutonnant jusque sur l’encolure ! » (Baudelaire).

La métaphore en un seul mot s’appelle métaphore-lexie. Elle affecte généralement le substantif, mais il existe aussi des métaphores adjectivales: « Qui du sang hérétique arrose les autels » (Racine) et verbales: « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui / Va-t-il nous déchirer avec un coup d’ail ivre / Ce lac dur oublié… » (Mallarmé)

Parfois, la métaphore-lexie est le point de départ d’une suite de métaphores qui se poursuivent à travers plusieurs mots ou mÊme phrases, jouant sur le prolongement de l’univers sémantique qu’elle ouvre. C’est ce qu’on appelle une métaphore filée: « Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, / Dans la nuit éternelle emportés sans retour, / Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des ages / Jeter l’ancre en seul jour ? » (Lamartine)

Si ce prolongement recouvre tout un poÈme, on est en présence d’une métaphore-texte.

La métaphore est le plus répandu des tropes. Elle est un véritable procédé de création lexicale et un des moyens les plus efficaces d’élargissement de l’espace sémantique.

La comparaison est une figure analogique qui établit un rapport de similitude entre deux termes in praesentia, sans transfert de sens. Chaque terme garde son sens propre, leur rapprochement étant possible grace aux sÈmes qu’ils partagent: « Je suis le cimetiÈre abhorré de la lune, / OÙ comme des remords se trainent de longs vers » (Baudelaire).

Au point de vue formel, la comparaison comporte un élément relationnel entre le comparant et la comparé, le plus souvent l’adverbe comme ou des substituts tels pareil, ainsi que, semblable, etc., voire mÊme des termes de parenté: sœur, frÈre, etc.: « Eternel et muet ainsi que la matiÈre » (Baudelaire).

L’oxymoron consiste à joindre deux termes opposés, d’habitude un substantif et un adjectif, le sÈme nucléaire de l’un représentant la négation du classÈme de l’autre : « Ma seule étoile est morte et mon luth constellé / Porte le soleil noir de la Mélancolie » (Nerval).

La syllepse est un trope par lequel un mÊme mot, répété ou non, est compris simultanément dans deux sens différents: l’un propre, l’autre figuré. Il y a plusieurs types de syllepses sémantiques, seule la syllepse par métaphore entrant dans la catégorie des tropes analogiques. En voilà un exemple: « Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé, / BrÛlé de plus de feux que je n’en allumai. » (Racine) Ici, le terme feux a un premier sens métaphorique – passions – et un second propre – incendie.

Les tropes logiques

Les tropes logiques comprennent deux classes de figures : par contiguÃté et par inclusion.

Les tropes par contiguÃté

La notion de contiguÃté ne doit pas Être comprise dans le sens limitatif de proximité spatiale, mais dans le sens plus large de relation logique. Dans la catégorie des tropes par contiguÃté entrent les différentes espÈces de métonymie et la syllepse par métonymie.

La métonymie se définit comme substitution de termes (et non pas de signifiés) qui désignent des objets liés par un rapport nécessaire, de type cause – effet, contenant – contenu, physique – psychique, etc. Ses principales espÈces sont:

la métonymie de la cause: l’œil pour la vue, le soleil pour la chaleur;

la métonymie de l’effet: « perte de fleurs » (Valéry) pour pétales;

la métonymie de l’instrument: la plume pour l’écrivain ou pour l’art d’écrire, le pinceau pour la technique du peintre;

la métonymie du contenant: Paris pour ses habitants, le verre pour la boisson qu’il contient;

la métonymie du lieu: le lieu d’origine de l’objet pour l’objet proprement dit: un madras, du champagne, etc.;

la métonymie du signe: le trône, le sceptre, la couronne pour le pouvoir royal, la robe pour le magistrat, le voile pour la religieuse;

la métonymie de la chose: le chapeau pour l’homme, la jupe pour la femme.

La syllepse par métonymie est une espÈce de syllepse dans laquelle le terme pris figurément est une métonymie:

« Rome n’est plus dans Rome, elle est toute oÙ je suis ». La premiÈre occurrence du terme Rome désigne la ville proprement dite (sens propre), la seconde est une métonymie du contenant, signifiant les habitants de la ville.

Les tropes par inclusion

L’inclusion est la relation logique qui met deux termes en rapport d’englobant – englobé. Les principales figures par inclusion sont la synecdoque, l’antonomase et la syllepse par synecdoque.

La synecdoque est toujours une substitution de termes et non pas de signifiés, termes qui désignent des objets liés par des rapports du type partie – tout, espÈce – genre, etc. On en distingue deux grandes classes: les synecdoques généralisantes (sg) et les synecdoques particularisantes (sp); les premiÈres emploient le général pour le particulier, les secondes le particulier pour le général. Leurs principales espÈces sont:

la synecdoque du tout est une sg qui désigne la partie par le tout: la chambre pour le lit (Il se coucha dans la chambre côté jardin);

la synecdoque de la partie est une sp qui désigne le tout par la partie: « Depuis plus de six mois, éloigné de mon pÈre, / J’ignore les destin d’une tÊte si chÈre » (Racine); « Sa gerbe n’était point avare ni haineuse » (Hugo);

la synecdoque de la matiÈre consiste È désigner l’objet par la matiÈre dont il est fait (sp): le sang pour l’Être, l’acier pour l’épée, respectivement la matiÈre pour désigner l’objet (sg) : le feu pour le soleil, l’eau pour la riviÈre;

la synecdoque du genre (sg) consiste à employer le nom du genre pour l’espÈce: animal pour chien, chat, lion, astre pour soleil, etc.; « Et l’astre qui tombait de nuage en nuage » (Lamartine);

la synecdoque de l’espÈce (sp) consiste à désigner le genre par l’espÈce: le chat pour la féline.

L’antonomase est un type particulier de synecdoque, qui consiste à désigner une personne par le nom commun de l’espÈce: le tyran pour Ceausescu, ou à employer un nom propre pour un nom commun: un Harpagon pour un avare, un HomÈre pour un grand poÈte.

La syllepse par synecdoque est l’espÈce de syllepse oÙ l’emploi figuré du terme qui se répÈte représente une synecdoque: « Mais oÙ la vie afflue et s’agite sans cesse, / Comme l’air dans le ciel e la mer dans la mer » (Baudelaire). Dans cet exemple, le premier emploi du mot mer est une synecdoque généralisante pour la matiÈre – l’eau, le second est propre.

Il y a une différence notable entre les figures analogiques et les figures logiques en ce qui est de leur rapport avec le référent.

Les figures analogiques, la métaphore surtout, produisent une perturbation référentielle due au fait qu’elles fonctionnent par la superposition d’au moins deux univers référentiels distincts, créant un univers fictionnel, sans correspondant dans la réalité extralinguistique. De la sorte, le référent de la figure est lui-mÊme analogique, métaphorique, le décodage de la figure impliquant de maniÈre nécessaire une opération de nature sémantique.

Les figures logiques ne sont pas toujours purement sémantiques, dans le sens qu’elles font parfois intervenir dans leur production/réception le contexte situationnel ou les connaissances d’univers. Bien que la figure représente la substitution d’un sémÈme par un autre, cette substitution n’entraine pas nécessairement un développement allotopique ou un changement d’isotopie, ce qui signifie qu’il n’y a pas transfert du sens propre au sens figuré du mot, mais à un sens connotatif. Le terme de départ et le terme d’arrivé appartiennent au mÊme paradigme sémantique et référentiel. Il ne se produit donc pas vraiment une perturbation référentielle, mais un changement d’optique sur le référent. Cela signifie que les figures logiques se situent à la limite entre les métasémÈmes et les métalogismes.

Une métaphore in praesentia comme « le champ des étoiles » (Hugo) pour le ciel part de l’analogie entre deux univers distincts, agraire et céleste - le champ et le ciel, ayant des traits communs, pour procéder à leur identification, par l’élimination des traits qui les différencient. De cette identification il résulte un univers sans correspondant dans l’univers réel, le décodage de la figure nécessitant la prise en compte des substitutions sémiques qui la produisent.

Une métonymie comme Ouvrez votre César fait intervenir un contexte situationnel (le professeur demande à ses élÈves d’ouvrir un certain livre de César) ou bien des connaissances d’univers ( on sait que le consul roman avait écrit des livres). Le terme César peut renvoyer à deux référents contigus, l’homme ou l’œuvre, et ce n’est que le contexte situationnel ou l’environnement linguistique qui peuvent trancher duquel des deux il s’agit.

Une synecdoque comme végétaux pour radis – « Des radis l’attendaient…Le maitre de maison grignote les végétaux » (Queneau) produit une substitution de sémÈmes ayant des degrés de généralité différents, mais les deux termes sont employés dans leur sens propre, les deux appartenant aux mÊmes champs sémantiques et référentiels. La substitution ne produit ni de perturbation référentielle, ni de changement d’isotopie.



Groupe µ, Rhétorique générale, Paris, Larousse, 1970

cf. Groupe µ, op.cit.

Marcel Cressot, Le style et ses techniques, Paris, PUF, 1976

Teodora Cristea, Grammaire structurale du français contemporain, 1979

Généralement la syllepse se définit comme accord selon le sens et non pas selon les rÈgles de la grammaire. Nous rangeons sous cette étiquette, avec les rhétoriciens du Groupe µ, tout procédé stylistique concernant l’accord, le régime, la concordance et la rection.

Pierre Guiraud, La Versification, 1970

François Rastier, Sens et textualité, Paris, Hachette, 1989, p. 16

Georges Molinié, Eléments de stylistique française, 1986, p.21

Alexandrina Mustatea, Elemente pentru o poetica integrata, 1998, pp.93,94

Catherine Kerbrat-Orecchioni, L’Implicite, Paris, Armand Colin, 1986

cf. Anne Hénault, Les enjeux de la sémiotique, Paris, PUF, 1979

Petit Robert

cf. Groupeµ, op.cit

Attention à ne pas confondre la syllepse syntaxique, figure de construction, avec le trope portant le mÊme nom.



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