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COMMENT SE TRANSFORMENT LES INSTITUTIONS, LES RELIGIONS ET LES LANGUES
Les races supérieures, ne peuvent, pas plus que les races inférieures, transformer brusquement les éléments de leur civilisation, — Contradictions présentées par les peuples qui ont changé leurs religions, leurs langues et leurs arts. — Le cas du Japon. — En quoi ces changements ne sont qu’apparents. — Transformations profondes subies par le Bouddhisme, le Brahmanisme, l’Islamisme et le Christianisme, suivant les races qui les ont adoptés. — Variations que subissent les institutions et les langues suivant la race qui les adopte. — Comment les mots considérés comme se correspondant dans des langues différentes représentent des idées et des modes de penser trÈs dissemblables. — Impossibilité, pour cette raison, de traduire certaines langues. — Pourquoi, dans les livres d’histoire, la civilisation d’un peuple parait parfois subir des changements profonds. — Limites de l’influence réciproque des diverses civilisations.
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Dans un travail publié ailleurs, nous avons montré que les races supérieures sont dans l’impossibilité de faire accepter ou d’imposer leur civilisation aux races inférieures. Prenant un à un les plus puissants moyens d’action dont les Européens disposent, l’éducation, les institutions et les croyances, nous avons démontré l’insuffisance absolue de ces moyens d’action pour changer l’état social des peuples inférieurs. Nous avons essayé d’établir que, tous les éléments d’une civilisation correspondant à une certaine constitution mentale bien définie créée par un long passé héréditaire, il était impossible de les modifier sans changer la constitution mentale d’oÙ ils dérivent. Les siÈcles seuls, et non les conquérants, peuvent accomplir une telle tache. Nous avons fait voir aussi que c’est seulement par une série d’étapes successives, analogues à celles que franchirent les barbares, destructeurs de la civilisation gréco-romaine, qu’un peuple peut s’élever sur l’échelle de la civilisation. Si, au moyen de l’éducation, on essaye de lui éviter ces étapes, on ne fait que désorganiser sa morale et son intelligence, et le ramener finalement à un niveau inférieur à celui oÙ il était arrivé par lui-mÊme.
L’argumentation que nous avons appliquée aux races inférieures est applicable également aux races supérieures. Si les principes que nous avons exposés dans cet ouvrage sont exacts, nous devrons constater que les races supérieures ne peuvent pas non plus transformer brusquement leur civilisation. A elles aussi il faut le temps et les étapes successives.Si des peuples supérieurs semblent parfois avoir adopté des croyances, des institutions, des langues et des arts différents de ceux de leurs ancÊtres, ce n’est, en réalité, qu’aprÈs les avoir transformés lentement et profondément, de façon à les mettre en rapport avec leur constitution mentale.
L’histoire semble contredire à chaque page la proposition qui précÈde. On y voit trÈs fréquemment des peuples changer les éléments de leur civilisation, adopter des religions nouvelles, des langues nouvelles, des institutions nouvelles. Les uns abandonnent des croyances plusieurs fois séculaires, pour se convertir au christianisme, au bouddhisme ou à l’islamisme ; d’autres transforment leur langue ; d’autres enfin modifient radicalement leurs institutions et leurs arts. Il semble mÊme qu’il suffise d’un conquérant ou d’un apôtre, ou mÊme d’un simple caprice, pour produire trÈs facilement de semblables transformations.
Mais, en nous offrant le récit de ces brusques révolutions, l’histoire ne fait qu’accomplir une de ses taches habituelles : créer et propager de longues erreurs. Lorsqu’on étudie de prÈs tous ces prétendus changements, on s’aperçoit bientôt que les noms seuls des choses varient aisément, tandis que les réalités qui se cachent derriÈre les mots continuent à vivre et ne se transforment qu’avec une extrÊme lenteur.
Pour le prouver, et pour montrer en mÊme temps comment, derriÈre des dénominations semblables, s’accomplit la lente évolution des choses, il faudrait étudier les éléments de chaque civilisation chez divers peuples, c’est-à-dire refaire leur histoire. Cette lourde tache, je l’ai déjà tentée dans plusieurs volumes ; je ne saurais donc songer à la recommencer ici. Laissant de côté les nombreux éléments dont une civilisation se compose, je ne choisirai comme exemple que l’un d’eux : les arts.
Avant d’aborder, cependant, dans un chapitre spécial, l’étude de l’évolution qu’accomplissent les arts en passant d’un peuple à un autre, je dirai quelques mots des changements que subissent les autres éléments de la civilisation, afin de montrer que les lois applicables à un seul de ces éléments sont bien applicables à tous, et que, si les arts des peuples sont en rapport avec une certaine constitution mentale, les langues, les institutions, les croyances, etc., le sont également, et, par conséquent, ne peuvent brusquement changer et passer indifféremment d’un peuple à un autre
C’est surtout en ce qui concerne les croyances religieuses que cette théorie peut sembler paradoxale, et c’est pourtant dans l’histoire de ces croyances mÊmes qu’on peut trouver les meilleurs exemples à invoquer, pour prouver qu’il est aussi impossible à un peuple de changer brusquement les éléments de sa civilisation, qu’à un individu de changer sa taille ou la couleur de ses yeux.
Sans doute personne n’ignore que toutes les grandes religions, le brahmanisme, le bouddhisme, le christianisme, l’islamisme, ont provoqué des conversions en masse chez des races entiÈres qui ont paru les adopter tout à coup ; mais quand on pénÈtre un peu dans l’étude de ces conversions, on constate bientôt que ce que les peuples ont changé surtout, c’est le nom de leur ancienne religion, et non la religion elle-mÊme ; qu’en réalité les croyances adoptées ont subi les transformations nécessaires pour se mettre en rapport avec les vieilles croyances qu’elles sont venues remplacer, et dont elles n’ont été en réalité que la simple continuation.
Les transformations subies par les croyances, en passant d’un peuple à un autre, sont mÊme si considérables souvent, que la religion nouvellement adoptée n’a plus aucune parenté visible avec celle dont elle garde le nom. Le meilleur exemple nous est fourni par le bouddhisme, qui, aprÈs avoir été transporté en Chine, y est devenu à ce point méconnaissable que les savants l’ont pris d’abord pour une religion indépendante et ont mis fort longtemps à reconnaitre que cette religion était simplement le bouddhisme transformé par la race qui l’avait adopté. Le bouddhisme chinois n’est pas du tout le bouddhisme de l’Inde, fort différent lui-mÊme du bouddhisme du Népal, lequel s’éloigne aussi du bouddhisme de Ceylan. Dans l’Inde, le bouddhisme ne fut qu’un schisme du brahmanisme, qui l’avait précédé, et dont il diffÈre au fond assez peu ; en Chine, il fut également un schisme de croyances antérieures auxquelles il se rattache étroitement.
Ce qui est rigoureusement démontré pour le bouddhisme ne l’est pas moins pour le brahmanisme. Les races de l’Inde étant extrÊmement diverses, il était facile de présumer que, sous des noms identiques, elles devaient avoir des croyances religieuses extrÊmement différentes. Sans doute tous les peuples brahmaniques considÈrent Vishnou et Siva comme leurs divinités principales, les Védas comme leurs livres sacrés ; mais ces dieux fondamentaux n’ont laissé dans la religion que leurs noms, les livres sacrés que leur texte. A côté d’eux se sont formés des cultes innombrables oÙ l’on retrouve, suivant les races, les croyances les plus variées : monothéisme, polythéisme, fétichisme, panthéisme, culte des ancÊtres, des démons, des animaux, etc. A ne juger des cultes de l’Inde que par ce qu’en disent les Védas, on n’aurait pas la plus légÈre idée des dieux ni des croyances qui rÈgnent dans l’immense péninsule. Le titre des livres sacrés est vénéré chez tous les brahmanes, mais de la religion que ces livres enseignent, il ne reste généralement rien.
L’islamisme lui-mÊme, malgré la simplicité de son monothéisme, n’a pas échappé à cette loi : il y a loin de l’islamisme de la Perse à celui de l’Arabie et à celui de l’Inde. L’Inde, essentiellement polythéiste, a trouvé moyen de rendre polythéiste la plus monothéiste des croyances. Pour les cinquante millions de musulmans hindous, Mahomet et les saints de l’Islam ne sont guÈre que des dieux nouveaux ajoutés à des milliers d’autres. L’islamisme n’a mÊme pas réussi à établir dans l’Inde cette égalité de tous les hommes, qui fut ailleurs une des causes de son succÈs : les musulmans de l’Inde pratiquent, comme les autres hindous, le systÈme des castes. Dans le Dekkan, parmi les populations dravidiennes, l’islamisme est devenu tellement méconnaissable, qu’on ne peut guÈre le distinguer du brahmanisme ; il ne s’en distinguerait mÊme pas du tout sans le nom de Mahomet, et sans la mosquée, oÙ le prophÈte, devenu dieu, est adoré.
Il n’est pas besoin d’aller jusque dans l’Inde pour voir les modifications profondes qu’a subies l’islamisme en passant d’une race à une autre. Il suffit de regarder notre grande possession, l’Algérie. Elle contient deux races fort différentes : Arabes et BerbÈres, également musulmans. Or, il y a loin de l’islamisme des premiers à celui des seconds ; la polygamie du Coran est devenue monogamie chez les BerbÈres, dont la religion n’est guÈre qu’une fusion de l’islamisme avec le vieux paganisme qu’ils ont pratiqué depuis les ages lointains oÙ dominait Carthage.
Les religions de l’Europe elles-mÊmes ne sont pas soustraites à la loi commune de se transformer suivant l’ame des races qui les adoptent. Comme dans l’Inde, la lettre des dogmes fixés par les textes est restée invariable ; mais ce sont de vaines formules dont chaque race interprÈte le sens à sa façon. Sous la dénomination uniforme de chrétiens, on trouve en Europe de vrais paÃens, tels que le Bas-Breton priant des idoles ; des fétichistes, tels que l’Espagnol qui adore des amulettes ; des polythéistes, tels que l’italien qui vénÈre comme des divinités fort diverses les madones de chaque village. Poussant l’étude plus loin, il serait facile de montrer que le grand schisme religieux de la Réforme fut la conséquence nécessaire de l’interprétation d’un mÊme livre religieux par des races différentes : celles du Nord voulant discuter elles-mÊmes leur croyance et régler leur vie, et celles du Midi restées bien en arriÈre au point de vue de l’indépendance et de l’esprit philosophique. Aucun exemple ne serait plus probant.
Mais ce sont là des faits dont le développement entrainerait trop loin. Nous devrons passer plus vite encore sur deux autres éléments fondamentaux de la civilisation, les institutions et les langues, parce qu’il faudrait entrer dans des détails techniques qui sortiraient par trop des limites de ce travail. Ce qui est vrai pour les croyances l’est également pour les institutions ; ces derniÈres ne peuvent se transmettre d’un peuple à un autre sans se transformer. Sans vouloir multiplier les exemples, je prie le lecteur de considérer simplement combien, dans les temps modernes, les mÊmes institutions, imposées par la force ou la persuasion, se transforment suivant les races, tout en conservant des noms identiques. Je le montrerai dans un prochain chapitre, à propos des diverses régions de l’Amérique.
Les institutions sont en réalité la conséquence de nécessités sur lesquelles la volonté d’une seule génération d’hommes ne saurait avoir d’action. Pour chaque race et pour chaque phase de l’évolution de cette race, il y a des conditions d’existence, de sentiments, de pensées, d’opinions, d’influences héréditaires qui impliquent certaines institutions et n’en impliquent pas d’autres. Les étiquettes gouvernementales importent fort peu. Il n’a jamais été donné à un peuple de choisir les institutions qui lui semblaient les meilleures. Si un hasard fort rare lui permet de les choisir, il ne saurait les garder. Les nombreuses révolutions, les changements successifs de constitutions auxquels nous nous livrons depuis un siÈcle constituent une expérience qui aurait dÛ fixer depuis longtemps l’opinion des hommes d’État sur ce point. Je crois d’ailleurs qu’il n’y a plus guÈre que dans l’obtuse cervelle des foules et dans l’étroite pensée de quelques fanatiques que puisse encore persister l’idée que des changements sociaux importants se font à coups de décrets. Le seul rôle utile des institutions est de donner une sanction légale aux changements que les mœurs et l’opinion ont fini par accepter. Elles suivent ces changements mais ne les précédent pas. Ce n’est pas avec des institutions qu’on modifie le caractÈre et la pensée des hommes. Ce n’est pas avec elles qu’on rend un peuple religieux ou sceptique, qu’on lui apprend à se conduire lui-mÊme au lieu de demander sans cesse à l’État de lui forger des chaines.
Je n’insisterai pas plus pour les langues que je ne l’ai fait pour les institutions, et me bornerai à rappeler qu’alors mÊme qu’elle est fixée par l’écriture, une langue se transforme nécessairement en passant d’un peuple à un autre, et c’est cela mÊme qui rend si absurde l’idée d’une langue universelle. Sans doute, moins de deux siÈcles aprÈs la conquÊte, les Gaulois, malgré l’immense supériorité de leur nombre, avaient adopté le latin ; mais cette langue, le peuple la transforma bientôt suivant ses besoins et la logique spéciale de son esprit. De ces transformations, notre français moderne est finalement sorti.
Des races différentes ne sauraient longtemps parler la mÊme langue. Les hasards des conquÊtes, les intérÊts de son commerce pourront sans doute amener un peuple à adopter une autre langue que sa langue maternelle, mais, en peu de générations, la langue adoptée sera entiÈrement transformée. La transformation sera d’autant plus profonde que la race à laquelle la langue a été empruntée diffÈre davantage de celle qui l’a empruntée.
On est toujours certain de rencontrer des langues dissemblables dans les pays oÙ subsistent des races différentes. L’Inde en fournit un excellent exemple. La grande péninsule étant habitée par des races nombreuses et diverses, il n’est pas étonnant que les savants y comptent deux cent quarante langues, quelques-unes différant beaucoup plus entre elles que le grec ne diffÈre du français. Deux cent quarante langues, sans parler d’environ trois cents dialectes ! Parmi ces langues, la plus répandue est toute moderne, puisqu’elle n’a pas trois siÈcles d’existence ; c’est l’hindoustani, formé par la combinaison du persan et de l’arabe, que parlaient les conquérants musulmans, avec l’hindi, une des langues les plus répandues dans les régions envahies. Conquérants et conquis oubliÈrent bientôt leur langue primitive pour parler la langue nouvelle, adaptée aux besoins de la race nouvelle produite par le croisement des divers peuples en présence.
Je ne saurais insister davantage et suis obligé de me borner à indiquer les idées fondamentales. Si je pouvais entrer dans les développements nécessaires, j’irais plus loin et je dirais que, lorsque des peuples sont différents, les mots considérés chez eux comme correspondants représentent des modes de penser et de sentir tellement éloignés, qu’en réalité leurs langues n’ont pas de synonymes et que la traduction réelle de l’une à l’autre est impossible. On le comprend en voyant, à quelques siÈcles de distance, dans le mÊme pays, dans la mÊme race, le mÊme mot correspondre à des idées tout à fait dissemblables.
Ce que tes mots anciens représentent, ce sont les idées des hommes d’autrefois. Les mots qui étaient à l’origine des signes de choses réelles ont bientôt leur sens déformé par suite des changements des idées, des mœurs et des coutumes. On continue à raisonner sur ces signes usés qu’il serait trop difficile de changer, mais il n’y a plus aucune correspondance entre ce qu’ils représentaient à un moment donné et ce qu’ils signifient aujourd’hui. Lorsqu’il s’agit de peuples trÈs éloignés de nous, ayant appartenu à des civilisations sans analogie avec les nôtres, les traductions ne peuvent donner que des mots absolument dénués de leur sens réel primitif, c’est-à-dire éveillant dans notre esprit des idées sans parenté avec celles qu’ils ont évoquées jadis. Ce phénomÈne est frappant, surtout pour les anciennes langues de l’Inde. Chez ce peuple aux idées flottantes, dont la logique n’a aucune parenté avec la nôtre, les mots n’ont jamais eu ce sens précis et arrÊté que les siÈcles et la tournure de notre esprit ont fini par leur donner en Europe. Il y a des livres, comme les Védas, dont la traduction, vainement tentée, est impossible . Pénétrer dans la pensée d’individus avec lesquels nous vivons, mais dont certaines différences d’age, de sexe, d’éducation nous séparent, est déjà fort difficile ; pénétrer dans la pensée de races sur lesquelles s’est appesantie la poussiÈre des siÈcles est une tache qu’il ne sera jamais donné à aucun savant d’accomplir. Toute la science qu’on peut acquérir ne sert qu’à montrer la complÈte inutilité de telles tentatives.
Si brefs et si peu développés que soient les exemples qui précÈdent, ils suffisent à montrer combien sont profondes les transformations que les peuples font subir aux éléments de civilisation qu’ils empruntent. L’emprunt parait souvent considérable, parce que les noms, en effet, changent brusquement ; mais il est toujours en réalité fort minime. Avec les siÈcles, grace aux lents travaux des générations, et par suite d’additions successives, l’élément emprunté finit par différer beaucoup de l’élément auquel il s’est substitué tout d’abord. De ces variations successives, l’histoire, qui s’attache surtout aux apparences, ne tient guÈre compte, et, quand elle nous dit, par exemple, qu’un peuple adopta une religion nouvelle, ce que nous nous représentons aussitôt, ce ne sont pas du tout les croyances qui ont été adoptées réellement, mais bien la religion telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il faut pénétrer dans l’étude intime de ces lentes adaptations pour bien comprendre leur genÈse et saisir les différences qui séparent les mots des réalités.
L’histoire des civilisations se compose ainsi de lentes adaptations, de petites transformations successives. Si ces derniÈres nous paraissent soudaines et considérables, c’est parce que, comme en géologie, nous supprimons les phases intermédiaires pour n’envisager que les phases extrÊmes.
En réalité, si intelligent et si bien doué qu’on suppose un peuple, sa faculté d’absorption pour un élément nouveau de civilisation est toujours fort restreinte. Les cellules cérébrales ne s’assimilent pas en un jour ce qu’il a fallu des siÈcles pour créer, et ce qui est adapté aux sentiments et aux besoins d’organismes différents. De lentes accumulations héréditaires permettent seules de telles assimilations. Lorsque nous étudierons plus loin l’évolution des arts chez le plus intelligent des peuples de l’antiquité, les Grecs, nous verrons qu’il lui a fallu bien des siÈcles pour sortir des grossiÈres copies des modÈles de l’Assyrie et de l’Égypte, et arriver d’étapes en étapes successives aux chefs d’œuvre que l’humanité admire encore.
Et cependant tous les peuples qui se sont succédé dans l’histoire — à l’exception de quelques peuples primitifs tels que les Égyptiens et les Chaldéens — n’ont guÈre eu qu’à s’assimiler, en les transformant suivant leur constitution mentale, les éléments de civilisation qui constituent l’héritage du passé.Le développement des civilisations eÛt été infiniment plus lent, et l’histoire des divers peuples n’eÛt été qu’un éternel recommencement, s’ils n’avaient pu profiter des matériaux élaborés avant eux. Les civilisations créées, il y a sept ou huit mille ans, par les habitants de l’Égypte et de la Chaldée, ont formé une source de matériaux oÙ toutes les nations sont venues puiser tour à tour. Les arts grecs sont nés des arts créés sur les bords du Tigre et du Nil. Du style grec, est sorti le style romain qui, mélangé à des influences orientales, a donné successivement naissance aux styles byzantin, roman et gothique, styles variables suivant le génie et l’age des peuples chez qui ils ont pris naissance, mais styles qui ont une commune origine.
Ce que nous venons de dire des arts est applicable à tous les éléments d’une civilisation institutions, langues et croyances. Les langues européennes dérivent d’une langue mÈre jadis parlée sur le plateau central de l’Asie. Notre droit est le fils du droit romain, fils lui-mÊme de droits antérieurs. La religion juive dérive directement des croyances chaldéennes. Associée à des croyances aryennes, elle est devenue la grande religion qui régit les peuples de l’Occident depuis prÈs de deux mille ans. Nos sciences elles-mÊmes ne seraient pas ce qu’elles sont aujourd’hui sans le lent labeur des siÈcles. Les grands fondateurs de l’astronomie moderne, Copernic, Kepler, Newton, se rattachent à Ptolémée, dont les livres servirent à l’enseignement jusqu’au XVe siÈcle, et Ptolémée se rattache, par l’école d’Alexandrie, aux Égyptiens et aux Chaldéens. Nous entrevoyons ainsi, malgré les formidables lacunes dont l’histoire de la civilisation est pleine, une lente évolution de nos connaissances qui nous fait remonter à travers tes ages et les empires jusqu’à l’aurore de ces antiques civilisations, que la science moderne essaye aujourd’hui de rattacher aux temps primitifs oÙ l’humanité n’avait pas d’histoire. Mais si la source est commune, les transformations — progressives ou régressives — que chaque peuple, suivant sa constitution mentale, fait subir aux éléments empruntés, sont fort diverses, et c’est l’histoire mÊme de ces transformations qui constitue l’histoire des civilisations.
Nous venons de constater que les éléments fondamentaux dont se compose une civilisation sont individuels à un peuple, qu’ils sont le résultat, l’expression mÊme de sa structure mentale, et qu’ils ne peuvent par conséquent passer d’une race à une autre sans subir des changements tout à fait profonds. Nous avons vu aussi que ce qui masque l’étendue de ces changements, c’est, d’une part, les nécessités linguistiques qui nous obligent à désigner sous des mots identiques des choses fort différentes, et, d’autre part, les nécessités historiques qui amÈnent à n’envisager que les formes extrÊmes d’une civilisation, sans considérer les formes intermédiaires qui les unissent. En étudiant dans le prochain chapitre les lois générales de l’évolution des arts, nous pourrons montrer avec plus de précision encore la succession des changements qui s’opÈrent sur les éléments fondamentaux d’une civilisation lorsqu’ils passent d’un peuple à un autre.
Je n’aborderai pas ici le cas du Japon que j’ai déjà traité ailleurs et sur lequel je reviendrai sÛrement un jour. Il serait impossible d’étudier en quelques pages une question sur laquelle des hommes d’Etat éminents, malheureusement suivis par des philosophes peu éclairés, s’illusionnent si complÈtement. Le prestige des triomphes militaires, fussent-ils obtenus sur de simples barbares, reste encore pour bien des esprits le seul critérium du niveau d’une civilisation. Il est possible de dresser à l’européenne une armée de nÈgres, de leur apprendre à manier fusils et canons, on n’aura pas pour cela modifié leur infériorité mentale et tout ce qui découle de cette infériorité. Le vernis de civilisation européenne qui recouvre actuellement le Japon ne correspond nullement à l’état mental de la race. C’est un misérable habit d’emprunt que déchireront bientôt de violentes révolutions.
Parlant des nombreuses tentatives de traduction des Védas, un éminent indianiste, M. Barth, ajoute : « Un résultat se dégage de toutes ces études si diverses, et parfois si contradictoires, je veux dire notre impuissance à traduire ces documents au vrai sens du mot. »
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